«La Syrie cristallise trois problèmes profonds» de l’Otan
Les précédentes attaques contre l’Alliance atlantique étaient venues de la Maison Blanche, où l’actuel locataire s’exaspère que les Etats membres n’accordent pas une part plus importante de leur budget à la défense. Cette fois, c’est Emmanuel Macron qui s’en prend vertement à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. «Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan», a lâché le président dans un entretien au magazine britannique
The Economist.
Ce soudain courroux est provoqué par l’offensive turque (membre de l’Alliance depuis 1952) dans le nord-est de la Syrie, rendu possible par le feu vert de Donald Trump.
«Vous n’avez aucune coordination de la décision stratégique des Etats-Unis avec les partenaires de l’Otan et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’Otan, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination»,
poursuit Macron qui se fait ensuite plus précis. «Nous nous sommes engagés pour lutter contre Daech. Le paradoxe, c’est que la décision américaine et l’offensive turque dans les deux cas ont un même résultat : le sacrifice de nos partenaires sur le terrain, les Forces démocratiques syriennes.»
Pour Alexandra de Hoop Scheffer, spécialiste des relations transatlantiques et directrice à Paris du German Marshall Fund of the United States, «la Syrie cristallise trois problèmes profonds» de l’Otan : «Une crise de leadership, notamment américain, avec le président Trump qui ne souhaite pas s’investir politiquement dans l’Alliance et qui ne consulte pas ses alliés sur la Syrie ; une crise de solidarité, avec la Turquie qui intervient en Syrie sans coordination et exerce un chantage en menaçant de bloquer les plans de défense pour le flanc Est [pays baltes, ndlr] si les membres de l’Alliance ne se montrent pas solidaires sur le flanc Sud ; enfin, l’Otan souffre d’une insuffisance des capacités de l’Europe, incapable d’agir sans les Etats-Unis.» La réaction de l’Alliance avait été pour le moins timorée au lendemain de l’incursion turque. Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, avait appelé Ankara à «la retenue». Très insuffisant, juge le sénateur français Les Républicains Cédric Perrin, également rapporteur général de la commission sécurité et défense de l’Assemblée parlementaire de l’Otan : «Depuis trois ans, la Turquie multiplie les prises de position incompatibles avec l’Otan.» Cette fois, les critiques sont plus profondes et les réactions moins consensuelles. Macron n’a pas seulement épinglé le comportement d’un Etat membre, mais de la direction, s’interrogeant sur son sens politique au-delà des coopérations militaires. Il faut «clarifier quelles sont les finalités stratégiques de l’Otan», lance le président dans The Economist.
«Je ne pense pas qu’un tel jugement intempestif [sur la mort cérébrale] soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir», a répondu la chancelière allemande, Angela Merkel, sur un ton diplomatique mais sec. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a lui loué le «rôle extrêmement important» de l’Otan sur la scène internationale. «Je pense que l’Otan reste un partenariat stratégique crucial, peut-être l’un des plus importants de l’histoire», a répliqué Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, rappelant au passage les attentes de Donald Trump sur le «partage du fardeau» budgétaire.