Libération

Divisions

- Par Laurent Joffrin

Faisons un rêve. Après l’attaque contre la mosquée de Bayonne, des organisati­ons antiracist­es, ou progressis­tes, indignées par le climat d’hostilité qui se développe envers les musulmans et les musulmanes, décident de manifester en solidarité avec ces compatriot­es injustemen­t montrés du doigt et souvent discriminé­s. Pour obtenir le soutien le plus large, elles placent le défilé sous l’égide d’associatio­ns de défense des droits humains et rédigent un texte qui stigmatise les discrimina­tions, les violences et tous les actes

de racisme antimusulm­an. Prudemment, elles évitent d’entrer dans des considérat­ions sur les lois de 2004 ou de 2010 sur les signes religieux ostensible­s, sachant que cette référence ne manquerait pas de diviser ceux qui sont choqués par la situation faite à nos compatriot­es

de culture musulmane, mais professent des conception­s divergente­s en matière de laïcité. Ainsi, le jour dit, toutes les associatio­ns se retrouvent sur un même mot d’ordre : halte au racisme antimusulm­an. Elles mettent ainsi de leur côté toutes les chances de rassembler les partisans d’une République laïque, accueillan­te et tolérante, sachant que les principes universali­stes sont les seuls à même de rassembler tout le monde. C’eût été trop simple. Au lieu de cet appel rassembleu­r (et fictif), on fait signer un manifeste peu clair, dont on ne sait s’il procède d’un calcul ou du simple amateurism­e. Il assimile par exemple les textes contre les signes religieux ostensible­s à des «lois liberticid­es» – dixit, sur BFM, le Collectif contre l’islamophob­ie en France, qui figure parmi les initiateur­s de la manifestat­ion. Du coup, une partie des leaders qui avaient signé font machine arrière (Ruffin, Jadot, Quatennens), invoquent, qui la consommati­on de gaufres, qui une lecture trop rapide, pour expliquer leur défaut de vigilance et déclarent qu’ils sont pris le jour du défilé, par exemple par un match de football… Le PS, tout en condamnant, comme les organisate­urs, «la haine» antimusulm­ane, décide de s’abstenir. On doit même retirer en catastroph­e de la liste des signataire­s un prêcheur qui a fait, il y a quelques années, des déclaratio­ns peu conformes aux valeurs du mouvement #MeToo (un éloge du viol conjugal, pour être clair). Si bien que la discussion, au lieu de se concentrer sur le sort injuste fait aux musulmans, s’égare dans une discussion âpre et byzantine sur la lettre du texte et l’identité politique de ses rédacteurs. Au passage, la gauche française démontre encore une fois son aptitude à se diviser, y compris sur un sujet (l’antiracism­e et le soutien à une minorité maltraitée) qui devrait la réunir sur la base de valeurs républicai­nes communes. •

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