Divisions
Faisons un rêve. Après l’attaque contre la mosquée de Bayonne, des organisations antiracistes, ou progressistes, indignées par le climat d’hostilité qui se développe envers les musulmans et les musulmanes, décident de manifester en solidarité avec ces compatriotes injustement montrés du doigt et souvent discriminés. Pour obtenir le soutien le plus large, elles placent le défilé sous l’égide d’associations de défense des droits humains et rédigent un texte qui stigmatise les discriminations, les violences et tous les actes
de racisme antimusulman. Prudemment, elles évitent d’entrer dans des considérations sur les lois de 2004 ou de 2010 sur les signes religieux ostensibles, sachant que cette référence ne manquerait pas de diviser ceux qui sont choqués par la situation faite à nos compatriotes
de culture musulmane, mais professent des conceptions divergentes en matière de laïcité. Ainsi, le jour dit, toutes les associations se retrouvent sur un même mot d’ordre : halte au racisme antimusulman. Elles mettent ainsi de leur côté toutes les chances de rassembler les partisans d’une République laïque, accueillante et tolérante, sachant que les principes universalistes sont les seuls à même de rassembler tout le monde. C’eût été trop simple. Au lieu de cet appel rassembleur (et fictif), on fait signer un manifeste peu clair, dont on ne sait s’il procède d’un calcul ou du simple amateurisme. Il assimile par exemple les textes contre les signes religieux ostensibles à des «lois liberticides» – dixit, sur BFM, le Collectif contre l’islamophobie en France, qui figure parmi les initiateurs de la manifestation. Du coup, une partie des leaders qui avaient signé font machine arrière (Ruffin, Jadot, Quatennens), invoquent, qui la consommation de gaufres, qui une lecture trop rapide, pour expliquer leur défaut de vigilance et déclarent qu’ils sont pris le jour du défilé, par exemple par un match de football… Le PS, tout en condamnant, comme les organisateurs, «la haine» antimusulmane, décide de s’abstenir. On doit même retirer en catastrophe de la liste des signataires un prêcheur qui a fait, il y a quelques années, des déclarations peu conformes aux valeurs du mouvement #MeToo (un éloge du viol conjugal, pour être clair). Si bien que la discussion, au lieu de se concentrer sur le sort injuste fait aux musulmans, s’égare dans une discussion âpre et byzantine sur la lettre du texte et l’identité politique de ses rédacteurs. Au passage, la gauche française démontre encore une fois son aptitude à se diviser, y compris sur un sujet (l’antiracisme et le soutien à une minorité maltraitée) qui devrait la réunir sur la base de valeurs républicaines communes. •