Libération

Tourisme, pour ou contre ?

Bienvenue aux vrais touristes, ceux qu’on reconnaît à leur portefeuil­le. Mais pas aux faux qui viennent manger notre Sécurité sociale ?

- Par mATHIEU lINDON

Si j’ai bien compris, il y a une criminalis­ation du touriste. Haro sur eux. Naguère encore, il s’agissait de braves gens qui venaient dépenser leurs sous chez nous en s’extasiant sur Notre-Dame, le gai Paris, nos couscous, nos fromages et nos Galeries Lafayette. Désormais, il faut se méfier des touristes sexuels, même si en la matière on est plus exportateu­rs qu’importateu­rs, des touristes médicaux qu’on vient de dénicher et où on serait plus importateu­rs qu’exportateu­rs, et puis des touristes en général qui viennent saloper notre empreinte carbone avec leurs gros avions qu’on fabrique spécialeme­nt pour eux (mais c’est comme les armes, ce n’est pas parce qu’on leur en vend qu’ils doivent s’en servir, surtout chez nous). Ce qu’on accepte de bon coeur, de même que les immigrants économique­s sont bien reçus jusqu’en Suisse et au Liechtenst­ein, c’est le touriste économique mais pas économe, le touriste pur et dur qui trouve du charme à l’amabilité française et à cette fameuse french touch d’hospitalit­é qui fait tant d’envieux (ou de mécontents) et qui, comme le Brésilien de la Vie parisienne d’Offenbach, vient pour que Paris lui vole «tout ce que làbas j’ai volé». Et encore, même ceux-là, il ne faut pas qu’ils soient trop nombreux, sinon c’est comme à Barcelone, les natifs s’insurgent contre ce grand remplaceme­nt saisonnier, quand ce ne sont pas des hordes soumises de godillots qui suivent en masse l’unique drapeau du petit timonier, ne se passionnen­t que pour nos monuments et semblent passer sans nous voir. Tss tss, on est pour un tourisme d’élite, parce qu’on le vaut bien.

Il n’y a pas que les pickpocket­s qui savent dégraisser le mammouth, si on désigne ainsi l’ensemble de la population touristiqu­e. Un bon gros touriste bien dodu, c’est un peu comme un cochon laineux qu’on pourrait tondre, il n’y a rien qui se perd chez lui, chacun en veut sa part et tous le veulent tout entier. Il y a ceux qui se gavent avec le tourisme de masse comme on traite les poulets dans l’élevage industriel, et il y a ceux qui veulent du touriste élevé au gland et massé à la bière. L’idéal, ce sont les touristes analphabèt­es mais qui ont de l’estomac, ceux à qui on peut faire avaler de la choucroute pour de la bouillabai­sse et le mou du chat pour du ris de veau. En fait, on n’aime pas le touriste criminel quelle que soit la manière, mais on raffole du touriste victime, volé ici, dépouillé là, plumé dans les grandes largeurs et le respect de la loi économique. Et ne nous voilons pas la face : ce qu’il y a de meilleur chez les touristes, c’est leur fugitivité. Ils ne viendront pas se plaindre une fois qu’ils seront dans l’avion, inutile de fidéliser la clientèle par la qualité. Ouste, le service après-vente. Malgré la beauté, le charme, l’attrait et tous les atouts de leur pays, il arrive que des Français soient eux-mêmes touristes à l’étranger. Et voilà le tourisme soudain ennobli, ne serait-ce que parce qu’on fuit comme la peste les endroits à touristes, ceux où on risquerait de rencontrer des gens comme nous. On a peur d’être pris pour un touriste, comme si – mais pourquoi donc ? – on avait alors dans l’idée qu’on se ferait arnaquer. Les Français qui trouvent qu’il y a trop d’étrangers chez eux découvrent avec stupéfacti­on qu’il y a des masses de pays où les étrangers sont encore plus nombreux et qu’on sera donc heureux de quitter après cette brève immersion dans le cosmopolit­isme. Si j’ai bien compris, rien ne vaut la french way of life, et les gens qui viennent chez nous sans être assez riches pour mériter notre hospitalit­é – tolérance zéro. •

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