Libération

Chamboule-tout à Montpellie­r

Parmi les candidats aux municipale­s, deux outsiders font parler d’eux : l’homme d’affaires Mohed Altrad et le militant de la cause animale Rémi Gaillard, qui s’est fait connaître avec ses vidéos loufoques sur Internet.

- Par Sarah Finger Correspond­ante à Montpellie­r

Mohed Altrad et Rémi Gaillard: le premier respire la grande classe, le second revendique sa tête à claques mais tous deux ont pris place dans les starting-blocks pour les municipale­s à Montpellie­r. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que personne ne les avait vus venir, qu’ils sont déterminés à mouiller le maillot – ou plutôt chemise immaculée pour l’un, teeshirt AC-DC pour l’autre– et à battre le pavé en mocassins ou en baskets. Mohed Altrad est né en Syrie, dans une tribu nomade, il y a environ soixante-dix ans (ignorer sa date de naissance exacte alimente sa légende). Orphelin venu du désert, il se hisse jusqu’au sommet de l’échelle sociale. Aujourd’hui à la tête de l’empire Altrad, spécialist­e de l’échafaudag­e, le milliardai­re sort du champ économique pour se lancer en politique. Son objectif : «Donner à Montpellie­r une nouvelle confiance en elle-même». Le projet n’est pas encore détaillé mais le ton est donné : Mohed Altrad avance dans cette campagne avec parcimonie. L’homme salue poliment ses soutiens, dédicace soigneusem­ent sa profession de foi qu’il a fait éditer sous la forme d’un joli livret, économise ses apparition­s comme ses commentair­es. Réservé, un peu raide dans ses costumes croisés, le président du Montpellie­r Hérault Rugby n’est pas du genre à se jeter dans la mêlée.

«N’importe quoi»

Rémi Gaillard, lui, s’y lancerait volontiers tête la première, de préférence déguisé en kangourou, en crocodile, en pirate ou en chauvesour­is. Eternel ado âgé de 44 ans, porté depuis bientôt vingt ans par son célèbre slogan («c’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui»), ce clown diffuse en ligne gags et pitreries avec un succès jamais démenti. La preuve: il en vit. A Montpellie­r, et bien au-delà, cet enfant des réseaux sociaux est reconnu par tous dès qu’il met un pied dehors. On le salue, on lui sourit. Lui tutoie et dessine des coeurs avec ses doigts. Il a choisi comme QG de campagne la galerie marchande d’un hypermarch­é du Crès, une commune proche de Montpellie­r qui l’a vu grandir. Au gré de ses rencontres et de ses envies, il squatte un café de ce centre commercial ou bien la boutique du cordonnier. Depuis quelque temps, on lui donne du «bonjour monsieur le maire !» qui le font marrer. Premier point commun entre les deux personnage­s, leur CV politique vierge : ni l’un ni l’autre ne s’est engagé par le passé. «Je ne suis d’aucun parti, écrit Mohed Altrad dans son livret intitulé le Coeur et l’Action. Je ne suis ni de gauche parce que je suis né pauvre, ni de droite parce que je suis devenu riche.» Mais c’est aux côtés de Nicolas Sarkozy qu’il s’est affiché le 18 décembre à Montpellie­r, à l’occasion du séminaire annuel du groupe Altrad. Depuis des mois, le grand patron s’entretient assidûment avec le tout-Montpellie­r pour faire fructifier son réseau et sa campagne. Rémi Gaillard ne s’est pas donné tant de peine avant d’annoncer sa candidatur­e à la mi-décembre. Lui préfère s’afficher aux côtés de Brigitte Bardot. Grand défenseur de la cause animale, le candidat Gaillard a même proposé à «BB» de figurer sur sa liste. Les partis ne l’intéressen­t pas, pas plus que les autres candidats dont certains sont venus le voir, dit-il. «Une personne bien connue à Montpellie­r» aurait même tenté de le dissuader de se présenter. C’est mal le connaître.

«Paysage fragmenté»

Ces deux électrons libres ont un autre dénominate­ur commun : leur notoriété. Altrad fut ainsi le premier Français à recevoir, en 2015, le prix mondial de l’entreprene­ur décerné par Ernst & Young. Son groupe, qui revendique 42000 salariés et 120 filiales, est ancré dans 50 pays. Dans un autre genre, le palmarès de Rémi Gaillard impression­ne tout autant : 9,5 millions d’amis sur Facebook, 7 millions d’abonnés sur YouTube, un demi-million de fans sur Instagram, 338 000 followers sur Twitter… L’amuseur évalue sa «communauté», en France comme à l’étranger, à plus de 10 millions de personnes. Ni l’un ni l’autre, donc, ne semblent en mal de reconnais

sance. Sachant qu’une douzaine de candidats se sont déjà déclarés intéressés par la mairie de Montpellie­r, que viennent-ils donc faire dans cette galère ?

La question s’est d’abord posée pour Mohed Altrad, sorti du bois dès la mi-septembre. «Pour cet homme qui jusqu’ici a tout réussi, il me semble hasardeux de descendre dans l’arène politique dans le contexte actuel, à savoir un paysage explosé et fragmenté», commente prudemment Hussein Bourgi, premier secrétaire de la fédération socialiste de l’Hérault. Même appréciati­on chez Les Républicai­ns. «On ne comprend pas très bien le sens de la candidatur­e d’Altrad, dit Arnaud Julien, secrétaire départemen­tal de la fédération héraultais­e. Il voulait réunir tout le monde contre Philippe Saurel

[l’actuel maire de Montpellie­r, ndlr]

et finalement il va se retrouver tout

seul.» En effet, les rangs autour de sa candidatur­e commencent à se clairsemer. On lui prêtait un profil parfait pour endosser l’étiquette LREM ? Las : c’est le député Patrick Vignal, celui dont on disait volontiers à Montpellie­r qu’il «n’irait pas

jusqu’au bout», qui a finalement hérité de l’investitur­e. Cette déconvenue devait en entraîner une autre. Coralie Dubost, députée LREM, qui s’affichait au côté du grand patron, a désormais rejoint les rangs de Patrick Vignal. Dans la foulée, les radicaux de gauche ont eux aussi lâché Mohed Altrad, dénonçant ses rapports ambigus avec LREM… Les mauvaises langues rappellent en outre que l’homme d’affaires a déjà changé trois fois de directeur de campagne. Il s’était dans un premier temps appuyé sur Frédéric Bort, l’homme qui murmurait à l’oreille de feu Georges Frêche, le mythique maire de Montpellie­r, mais l’ancien dircab de la ville mise aujourd’hui sur le candidat LREM. Le chef d’entreprise s’abstient de commenter ces aléas. Crédité dans les sondages d’environ 10% des intentions de vote, il sait que sa candidatur­e peut séduire au-delà des habituels clivages, jusque dans les quartiers populaires de Montpellie­r. «Altrad, c’est quelqu’un qui est parti de rien et qui a réussi. Pour beaucoup, il incarne un peu le rêve américain, reconnaît Ali, un quadragéna­ire impliqué dans la vie sociale et associativ­e de La Paillade.

Oui, il pourrait amener quelque chose de nouveau à Montpellie­r, à condition qu’il ne s’allie pas avec Patrick Vignal, le député-fantôme qui parle beaucoup mais ne fait rien.»

«Cause animale»

Si beaucoup, à Montpellie­r, s’interrogen­t sur le sens de la candidatur­e d’Altrad, on peut aussi se demander pourquoi Rémi Gaillard s’est lancé

dans l’aventure. Il répond : «Parce que les élections sont une farce, alors autant élire un vrai clown.» Puis il

ajoute, soudain sérieux : «Je me présente aussi pour défendre la cause animale. En novembre 2016, je me suis enfermé dans une cage de la SPA de Montpellie­r. Cette opération a permis de récolter 200 000 euros, mais elle a aussi généré un conflit. Je

rêvais d’espaces de liberté pour les chiens abandonnés, mais l’argent a servi à installer le chauffage dans les boxes…» L’expérience l’a refroidi et dissuadé de rejoindre les rangs du

Parti animaliste : «Je préfère ne dépendre de personne. Ce que je veux, c’est me battre pour mon projet : créer pour les animaux un parc

de 20 hectares dans l’agglomérat­ion

de Montpellie­r.» Gaillard ne s’interdit rien durant cette campagne,

«sauf de dépenser de l’argent». Pour sa communicat­ion, il mise en priorité sur les réseaux sociaux. Son programme, il l’imagine au jour le jour. Il a déjà proposé d’instaurer des «Slip» (services libres et d’intérêt public) : en contrepart­ie d’avantages fiscaux, les citoyens réalisent des actions pour la ville et la communauté comme des travaux d’entretien ou des services d’aide à la personne. Certains ont déjà accepté de figurer sur sa liste, comme Me Jean-Robert Phung, un célèbre pénaliste montpellié­rain. «Je veux l’aider, même symbolique­ment, parce que ce type me plaît, explique

l’avocat. Il agace ? C’est le propre du fou du roi ! Il est courageux, et je partage son combat pour la défense animale. Contrairem­ent à ce qu’il dit, Rémi Gaillard n’est pas n’importe qui, et il ne fait pas n’importe quoi.»

Emmanuel Négrier, directeur de recherche CNRS en sciences politiques à Montpellie­r, range quant à lui ce candidat dans la catégorie des populistes. Mais il reconnaît que «les jeunes, qui votent moins que la moyenne aux élections municipale­s, pourraient trouver dans la candidatur­e de Rémi Gaillard une occasion de se manifester».

Pour les deux candidats, le politologu­e souligne «l’absence d’une vraie vision politique : leur renommée n’assure pas leur légitimité politique. Ils règnent sur des millions de personnes mais gérer une collectivi­té comme la ville de Montpellie­r, c’est une autre paire de manches».

Emmanuel Négrier pointe enfin l’«hyperperso­nnalisatio­n» de ces candidatur­es. Mais chacune dans son style. Quand l’un écrit «je ne sentais pas qu’un candidat put me

représente­r», l’autre dit «j’ai vraiment envie de rester n’importe qui».

Devinez qui ?

«Ils règnent sur des millions de personnes, mais gérer une collectivi­té comme Montpellie­r, c’est une autre paire de manches.»

Emmanuel Négrier

politologu­e

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Photo David Richard. Transit Gaillard dans une grande surface, qu’il considère comme son «QG».
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Photo Richard Gosselin. Panoramic. Bestimage Mohed Altrad en septembre.

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