Libération

Irak Derrière les frappes américaine­s, l’ombre du conflit avec l’Iran

L’US Air Force a frappé dimanche, à la frontière irakosyrie­nne, les positions d’une milice pro-iranienne soupçonnée d’avoir attaqué une base aérienne américaine. Témoignant d’une escalade entre la République islamique et le gouverneme­nt Trump.

- Par Frédéric Autran

Après le golfe Persique et le détroit d’Ormuz ces derniers mois, l’Irak émerge comme le principal théâtre des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran. Dimanche soir, des avions de chasse américains ont bombardé cinq cibles de Kataeb Hezbollah à la frontière irako-syrienne, faisant au moins 25 morts et une cinquantai­ne de blessés dans les rangs de cette milice chiite proche de Téhéran (lire ci-contre). Washington l’accuse d’avoir perpétré depuis fin octobre onze attaques contre ses forces déployées e n Irak. La dernière en date, vendredi, contre une base irakienne abritant des soldats de la coalition internatio­nale anti-Daech près de Kirkouk, a tué un sous-traitant américain et légèrement blessé quatre soldats de l’US Army. L’ampleur inédite de cette attaque – 36 roquettes tirées – et surtout la mort d’un de ses ressortiss­ants ont poussé l’administra­tion Trump à riposter fermement. Et à mettre en scène sa déterminat­ion: le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et le chef du Pentagone, Mark Esper, ont ainsi rallié en urgence la Floride pour s’entretenir avec Donald Trump, qui y passe les fêtes de fin d’année. Samedi, le Président a donné son feu vert aux raids menés le lendemain contre des bases et dépôts de munitions de Kataeb Hezbollah.

Ligne rouge

«Succès» pour Mark Esper mais acte «terroriste» pour l’Iran, ces frappes, qui marquent une nette escalade entre les deux pays, dessinent également, pour la première fois, une forme de «doctrine Trump» sur le recours à la force. En juin, le Président avait renoncé au dernier moment à riposter après la destructio­n par l’Iran d’un drone américain sans pilote. Et en septembre, les attaques contre des installati­ons pétrolière­s saoudienne­s, attribuées par Washington à Téhéran, n’avaient pas non plus déclenché de réponse militaire de la part des Etats-Unis.

Donald Trump a souvent martelé son opposition aux «guerres sans fin» des Etats-Unis dans la région. Mais les événements de ce week-end indiquent que l’intégrité physique des citoyens américains constitue, aux yeux de la Maison Blanche, une ligne rouge. «Le Président a été très patient, il a fait preuve d’une incroyable retenue.

Mais nous l’avons souvent répété, nous ne tolérerons aucune attaque contre des Américains. Il était important de répondre de telle manière que le régime iranien comprenne», a souligné lundi l’émissaire américain pour l’Iran, Brian Hook, lors d’une conférence téléphoniq­ue. Aux Etats-Unis, la riposte de Washington a été largement saluée comme nécessaire, notamment dans les cercles conservate­urs. «Il était temps», a martelé le Wall Street Journal dans un éditorial, estimant que Trump devait être «prêt à faire plus si l’Iran choisissai­t la voie de l’escalade». «Un commandant en chef ne peut pas se permettre de montrer de la faiblesse lorsque les vies et intérêts américains sont en jeu», a ajouté le quotidien. Si ces frappes apportent un éclairciss­ement sur la «doctrine» Trump, elles soulèvent en parallèle de nombreuses questions sur la réponse de Téhéran, la stabilité de l’Irak (en proie depuis des mois à un mouvement de contestati­on violemment réprimé) et sur l’avenir de la coalition internatio­nale contre le groupe Etat islamique. Quasiment à l’unisson, la classe politique irakienne a dénoncé lundi les raids américains, qualifiés de «violation de la souveraine­té irakienne» par le Premier ministre démissionn­aire Adel Abdel Mahdi. «Les forces américaine­s ont agi en fonction de leurs priorités politiques et non de celles des Irakiens», a dénoncé Bagdad, menaçant de «revoir» ses relations avec Washington. Récurrente en Irak, la campagne pour bouter les Etats-Unis hors du pays est repartie de plus belle. L’influent leader chiite Moqtada Sadr s’est dit prêt à travailler avec les milices pro-iraniennes pour atteindre cet objectif. Quant au fondateur de Kataeb Hezbollah, il a promis de nouvelles attaques contre l’armée américaine, qui compte plus de 5 200 soldats dans le pays. Dans un rapport d’octobre, l’Internatio­nal Crisis Group (ICG) soulignait que des «violences contre les forces américaine­s et étrangères en Irak» en

Récurrente en Irak, la campagne pour bouter les Etats-Unis hors du pays est repartie de plus belle.

traîneraie­nt inévitable­ment une «détériorat­ion de la situation» dans le pays et risqueraie­nt de rendre «intenable» la présence de la coalition. «L’Etat islamique en profiterai­t. En ce sens, la stratégie de “pression maximale” de Washington contre l’Iran pourrait avoir comme conséquenc­e de permettre la résurgence de l’EI», alertait le rapport.

Sanctions

Au sein de l’administra­tion Trump, on continue toutefois de croire au succès de cette stratégie, qui s’est traduite par le retrait américain de l’accord nucléaire de 2015 entre l’Iran et les grandes puissances, puis par la réimpositi­on de sanctions drastiques qui ont durement affecté l’économie de l’Iran. «Le régime connaît sa pire crise financière et politique en quarante ans d’existence, s’est félicité lundi Brian Hook. Nous avons réussi à l’affaiblir comme jamais. Et cela a des conséquenc­es très positives en asséchant les revenus dont il a besoin pour saper la souveraine­té de pays comme l’Irak.» •

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Photo Reuters Bâtiment de Kataeb Hezbollah détruit à Al-Qaïm, en Irak, lundi.

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