Libération

Kataeb Hezbollah, «la milice pro-iranienne la plus puissante»

Les frappes des Etats-Unis en Irak visaient l’organisati­on chiite, en activité depuis l’invasion américaine de 2003.

- Pierre Alonso

Al-Qaïm, à la frontière entre l’Irak et la Syrie, fut l’une des dernières villes irakiennes contrôlée par l’Etat islamique, mais ce n’est pas cette organisati­on terroriste que visaient les Etats-Unis dans une série de frappes aériennes, dimanche soir : les F-15 de l’US Air Force ont largué leurs bombes sur des bases appartenan­t, selon le Pentagone, à Kataeb

Hezbollah (les brigades du Hezbollah), une milice chiite proiranien­ne, accusée par Washington d’avoir mené une attaque contre une installati­on américaine quelques jours plus tôt (lire ci-contre).

Secrète.

«Kataeb Hezbollah est largement respecté et craint en Irak en tant que force chiite la plus puissante du pays et comme milice la plus proche de l’Iran», notait un rapport récent de l’Internatio­nal Institute for Strategic Studies (IISS) sur «les réseaux d’influence de l’Iran au Moyen-Orient». Le porteparol­e du Pentagone a insisté sur le «lien fort» entre le groupe et la branche chargée des opérations extérieure­s des Gardiens de la révolution iraniens, la garde prétorienn­e du régime relevant du seul Guide suprême. Kataeb Hezbollah «a reçu de l’assistance en armement et d’autres formes de soutien de la part de l’Iran, qu’il a utilisés pour attaquer» les forces de la coalition dirigée par les Etats-Unis en Irak, a poursuivi Jonathan Hoffman. La faction, qui demeure très secrète, existe depuis l’invasion américaine en 2003 contre laquelle elle s’est battue. Ce qui entraînera son ajout à la liste des organisati­ons terroriste­s en 2009 par Washington. En 2014, lorsque le grand ayatollah Sistani a appelé ses fidèles irakiens à lutter contre Daech organisati­on extrémiste sunnite très hostile aux chiites, Kataeb Hezbollah a rejoint les Forces de mobilisati­on populaire («Hachd al-Chaabi»). Cette coalition, désormais intégrée, au moins formelleme­nt, aux forces armées, comptait plus de 100000 combattant­s en 2018. Avec ses 5 000 hommes, Kataeb Hezbollah n’en est qu’une petite composante, mais pas la moins influente, ainsi qu’en témoigne le commandeme­nt de la coalition. Abou Mahdi al-Mohandes (nom de guerre de Jamal Jaafar Ibrahimi), s’est imposé à la tête des Forces de mobilisati­on populaire, au point qu’il en est devenu «l’individu le plus puissant» selon l’IISS. Or cet Irakien persanopho­ne, qui a passé «la majorité de sa vie d’adulte en Iran», est aussi perçu comme le «commandant de fait» de Kataeb Hezbollah. Ses faits d’armes incluent une attaque «inspirée par l’Iran» contre les intérêts américains, au Koweït en 1983, qui lui ont valu d’être classé comme terroriste par les Etats-Unis.

«Opprimés».

Alors que les Unités de mobilisati­on populaire regroupent différents groupes religieux, dominés par les chiites mais traversés par diverses sensibilit­és politiques, Kataeb Hezbollah est considéré comme l’une des factions les plus proches de Téhéran, d’un point de vue idéologiqu­e et opérationn­el. «Pour [ces factions], le combat contre l’Etat islamique n’est qu’un chapitre d’une lutte plus large contre les puissances sunnites et contre l’ordre mondial anglo-américain, un combat dans lequel la République islamique d’Iran apparaît comme le champion des opprimés et le leader de l’axe de la résistance», résume le rapport de l’IISS. Kataeb Hezbollah a en effet épousé l’agenda régional de Téhéran. Son déploiemen­t à la frontière avec la Syrie offre une continuité territoria­le à l’Iran pour envoyer des forces et du soutien matériel au régime syrien. Si la présence de la milice n’est pas certaine au Yémen, où la République islamique soutient les Houthis en guerre contre l’Arabie Saoudite, Kataeb Hezbollah a appelé à la mobilisati­on en soutien aux rebelles du Nord.

En Irak, la faction semble toujours très soutenue, malgré le mouvement spontané qui proteste depuis plusieurs semaines contre la corruption de la classe politique et l’influence iranienne dans le pays. Des manifestat­ions hostiles aux Etats-Unis ont eu lieu lundi dans plusieurs villes, au cours desquelles des drapeaux étoilés ont été brûlés. Les responsabl­es de plusieurs milices ont dénoncé la présence militaire américaine en Irak (5 200 hommes), désormais qualifiée de «source de menace» par l’une d’elles. Le porte-parole militaire de l’ancien Premier ministre Adel Abdel-Mehdi, qui a démissionn­é début décembre, a critiqué «une violation de la souveraine­té irakienne». Le grand ayatollah Sistani lui-même a condamné l’attaque américaine, là aussi au nom de la souveraine­té de l’Etat, afin d’éviter que «l’Irak ne devienne un terrain où on règle ses comptes régionaux et internatio­naux».

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