Libération

Une année de sape du logement social

Au Brésil, la politique ultralibér­ale menée par le leader d’extrême droite s’emploie à casser les programmes sociaux mis en place par la gauche de Lula et Dilma Rousseff. A commencer par le secteur de l’habitat.

- Par Chantal Rayes Correspond­ante à São Paulo PhotoVicto­r Moriyama

DLes soeurs Elizangela (à droite) et Elizandra Mendes, dans leur appartemen­t de Cidade Tiradentes, construit es tours, quelques bandes de pelouse, des allées en courbe et même une placette dite «de l’amour». On en oublierait presque que c’est du logement social. L’imposant complexe résidentie­l Florestan Fernandes-José Maria Amaral ne passe pas inaperçu dans le paysage fracturé de Cidade Tiradentes, lointaine banlieue de São Paulo. A priori, les 396 appartemen­ts sont prêts. Pourtant, leurs futurs propriétai­res n’ont toujours pas emménagé. Ici, des câbles en attente de raccord, là, des cages sans ascenseurs… Des finitions importante­s sont en souffrance. «Les caisses sont vides, le gouverneme­nt nous a mis au pain sec», accuse Jorge Mendes, activiste du Mouvement de lutte pour le logement qui pilote le projet. Ici, tout le monde est du mouvement dit «des travailleu­rs sans terre». Et les femmes sont en première ligne.

Cristiane Lima reçoit dans la salle dépouillée d’où elle coordonne le chantier. Son ton est amer. «Depuis le putsch qui a chassé la gauche du pouvoir, les travaux s’étiolent», regrette-t-elle, par allusion à la destitutio­n en 2016 de l’ancienne présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleu­rs, PT). Et de dénoncer un «manque de volonté politique», d’abord de son successeur direct, Michel Temer, et maintenant de l’actuel président d’extrême

droite, Jair Bolsonaro, arrivé à la tête du Brésil il y a un an. «Hormis un versement début 2019, nous n’avons plus rien reçu, reprend la militante. A chaque échéance, ils nous réclament encore et encore de la paperasse. A croire qu’on veut nous punir de lutter pour nos droits.»

Convoitise­s

Le chantier avait démarré en 2013, dans le cadre du plan de subvention­s à l’achat de logements populaires dit Minha Casa Minha Vida («Ma maison ma vie»). Cleide habite le bloc A. Quelques dizaines de familles se sont en effet installées pour déjouer les menaces d’«invasion». «Le crime organisé guette pour mettre la main sur les lieux comme ils l’ont fait ailleurs», explique cette quadragéna­ire au chômage. La mise en service prochaine d’un monorail dans le secteur a aiguisé les convoitise­s… Cleide n’en pouvait plus de vivre en location. Car même la gauche n’a pas osé encadrer les loyers, qui consument les petits revenus. Devenir propriétai­re ? «Sans le PT, jamais ça n’aurait été possible, assuret-elle. Il faut dire aussi que j’ai beaucoup lutté… et porté des blocs de béton, et assemblé des dalles.» Sur ce chantier, chacun prend part à la constructi­on de son futur logement. La quarantain­e enjouée, Elizangela, elle, a

vécu des années dans un squat sans eau ni égouts. Cidade Tiradentes, ce n’est pas le Pérou. Les écoles et l’unique clinique du quartier risquent d’être débordées par l’afflux des nouveaux venus. Mais «ici, les logements sont dignes», se félicite la petite femme, qui habite un coquet 58 mètres carrés. Face aux atermoieme­nts de l’Etat, Elizangela et les autres se sont résignés à financer eux-mêmes la fin des travaux : «Bolsonaro dit que l’argent manque, mais il en a bien trouvé pour autre chose», gronde-t-elle. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ex-militaire, le plan «Ma maison ma vie», lancé en 2009 par l’ancien président Lula, est paralysé. Pas un seul nouveau projet n’a été approuvé pour la «tranche 1» de revenus (jusqu’à 400 euros mensuels), soit les ménages les plus pauvres, dont le logement est subvention­né à hauteur de 90 %. La part des projets s’adressant à ce public, qui répond pour l’essentiel de la demande de logement, était déjà tombée à 20% du temps de Michel Temer. Jusqu’en 2013, sous le PT, elle était de l’ordre de 80 %… «Certes, la crise est passée par là, et le coup de frein était prévisible, mais les restrictio­ns budgétaire­s ne sauraient justifier la suppressio­n des subvention­s à ceux qui en ont le plus besoin», martèle Danielle Klintowitz, de l’institut Polis, un think tank sur les politi

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