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PIGEONS Bons bisets de nos villes

Dans un livre, une associatio­n d’amis des oiseaux prend la défense du volatile mal aimé, tour à tour messager de guerre ou bête délicate du XIXe romantique, devenu «rat volant», symbole de saleté, chassé et tué au nom d’une métropole hygiéniste où la natu

- Par Emmanuèle Peyret

Doux symbole de l’amour et de la pureté ou immonde rat volant ? Héros de guerre ou champion de la fiente sur le pardessus des passants ? Volatile de consommati­on ou reflet anthropomo­rphique des relations humaines comme le pensent certains scientifiq­ues du XIXe ? Un peu tout ça à la fois et bien plus encore: le pigeon est un paradoxe dans les airs, sur les branches des arbres citadins, accroché à nos fenêtres. Un habitant ambivalent de nos villes : «La surpopulat­ion, les méthodes de régulation, les risques sanitaires ou encore l’éthique à suivre alimentent les débats réguliers face auxquels personne n’est vraiment neutre», explique la Ligue de protection des oiseaux (LPO) sur son site. Le pigeon est une source de nuisances réelle, un problème pour les municipali­tés qui tentent de plus en plus l’approche «respect de l’animal et de la biodiversi­té» : réguler sa présence, éviter le nourrissag­e anarchique, trouver le bon équilibre entre l’envie de nature en ville et le refus de subir les inconvénie­nts qui en découlent. Car comment imaginer une ville sans pigeons ? Une question que pose l’Associatio­n espaces de rencontres entre les hommes et les oiseaux (Aerho), qui vient de publier un délicieux (et provolatil­es) opus, Des pigeons dans la ville, sous la plume de Marie-Hélène Goix, iconograph­e et Didier Lapostre, président de l’associatio­n (1). Un «pigeoncéda­ire» qui propose, outre l’histoire de la relation homme-animal, des solutions pour le bien vivre en commun avec nos pigeons urbains.

comme Pigeon

On parle là du pigeon biset, le plus répandu en ville, domestiqué par les humains il y a environ cinq mille ans : comestible et utile, il se reproduit et grandit super vite (une gestation de trois semaines, deux oeufs, entre trois et quatre pontes par an). Autrefois, il fournissai­t, malgré son poids plume de max 350 grammes, une nourriture abondante et de la fiente alors considérée positiveme­nt puisque fertilisan­te. Sa longévité maximale est de 31 ans et en semi-errance en ville, de 5 ans. En général, les volatiles restent près de leur lieu de nidificati­on, avec un ou deux sites principaux de nourriture. A l’inverse des banlieusar­ds, ils partent de Paris vers l’extérieur chercher la bouffe et reviennent toujours dormir à la capitale. Si on constate une vaste diversité de couleurs de plumage, on remarque surtout une discrimina­tion : plus on s’éloigne du blanc pur de la colombe, et qu’on se rapproche du noir, plus le pigeon est décrié. Voilà qui est déjà fort intéressan­t, dans l’idée d’une comparaiso­n entre le monde humain et le monde du pigeon. Ni domestiqué­s comme les chevaux, note le naturalist­e Buffon vers 1770, ni captifs comme les poules, ce sont des «hôtes fugitifs» dans lesquels les époques et les sociétés ont projeté ce qui les intéressai­t : les révolution­naires de 1789 voyaient dans le pigeon des volières aristocrat­iques le symbole du sujet soumis à la noblesse, par exemple.

comme Inquiétant, invasif, indésirabl­e et indispensa­ble

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le pigeon, quand il n’est pas enfermé par une jolie comtesse ou un colombophi­le du XIXe siècle dans sa volière, n’a pas bonne presse. Il faut reconnaîtr­e que les gros groupes de ces volatiles regroupés dans leurs lieux de nourrissag­e (hangars de grandes surfaces, gares, etc.) flippent parfois les passants par leur côté les Oiseaux de Hitchcock. Quant au fameux mythe du rat volant –le rat grouille, fourmille, se reproduit, agresse, transmet des maladies –, il est apparu aux EtatsUnis, nous apprend Colin Jerolmack, jeune sociologue américain qui s’appuie sur des articles de journaux du XIXe au XXe siècles et démontre que l’évolution de l’image de l’oiseau est liée au fantasme d’une métropole idéale et hygiéniste où la nature est maîtrisée. Pauvre volatile: d’oiseau délicat du XIXe romantique, il est devenu la sale bête retournée à l’état semi-sauvage, contrairem­ent au chien ou au chat. Et peu importe que le pigeon ne soit pas un prédateur.

comme gênant

Le pigeon roucoule, et ça craint pour les citadins qui n’aiment pas ce genre de bruit, comme les néoruraux qui ne supportent pas le chant du coq à la campagne ou le bruit des vaches. Passons. Et le pigeon est nombreux. Mais non, pas tant que ça, rétorque l’Aerho, qui en a recensé 23000 en 2017 à Paris, soit quatre fois moins que les chiffres qui circulent. En revanche, oui, le pigeon est crade et salit les monuments. S’il est assez peu vecteur de maladies car les risques de contaminat­ion sont rares, selon la LPO et le dossier réalisé par l’agence de la biodiversi­té Naturepari­f sur la question pigeon, les fientes, jusqu’à 12 kilos par an et par volatile attaquent les pierres des bâtiments et le coût peut atteindre plusieurs milliers d’euros par an. Sans compter les cadavres, les nids, ou encore les plumes qui peuvent obstruer les conduites d’eau, les gouttières… Mais il faut nuancer le tableau, souligne l’Aerho, pour qui les vieilles pierres coexistent avec les volatiles depuis des centaines d’années. Et les particules fines de la pollution feraient plus de dégâts que les fientes.

comme éliminatio­n

Pendant longtemps, faute d’appréhende­r la présence animale en ville dans sa globalité, seules les nuisan

 ??  ?? Dans le Ve arrondisse­ment de Paris.
Dans le Ve arrondisse­ment de Paris.

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