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Kremlin-Bicêtre : «Le problème, ce n’est pas les urgences, c’est l’hôpital»

Faute de personnel et de lits disponible­s pour soigner les patients, souvent nombreux pendant les fêtes, médecins et chefs de service tentent d’alerter leur direction. Qui ne propose pas assez de renforts.

- Par Éric Favereau

Il sera de garde le 31 décembre, comme il l’a été à Noël. «Je n’ai pas le choix, dit-il, un rien désabusé. Autrement, il n’y aurait pas de médecins.» Chef de service des urgences au CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-deMarne), près de Paris, Maurice Raphaël n’est pas un novice. Il occupe ce poste depuis dix ans, et auparavant il travaillai­t à l’hôpital de Montfermei­l (Seine-SaintDenis). Les urgences, c’est son monde.

Là, il se montre presque philosophe. La semaine dernière, il l’était beaucoup moins. Dans un mail adressé à la direction de l’hôpital, il s’est énervé. En évoquant le «risque majeur d’événements graves», il motivait sa mise en garde : «La situation pour les semaines à venir s’annonce extrêmemen­t préoccupan­te. La privation de 100 lits avec une activité qui reste stable, voire qui augmente pendant les fêtes, conduit mathématiq­uement à un engorgemen­t des urgences, avec pour résultat des patients dans l’attente de lits installés sur des brancards dans les couloirs.» La preuve ? «Le 23 décembre, quand je suis arrivé le matin, nous devions nous occuper de 35 patients sur des brancards, les voir un par un, leur trouver une place, ce qui prend du temps. Et pendant ce temps-là, le flux continue d’arriver et vous êtes toujours en retard.»

«Risque».

Maurice Raphaël résiste. Mais parfois, il a le sentiment de radoter, tant la situation s’est enkystée. «Le problème, ce n’est pas les urgences, c’est l’hôpital, explique-t-il. Avec 110 lits fermés faute de personnel, nous n’avons pas de place. Alors, tout est tendu. On a des conditions de travail difficiles, on n’est pas assez nombreux, et on n’arrive ni à recruter ni à faire rester le personnel.» Parallèlem­ent, l’activité augmente : plus de 60 000 passages par an, c’est-à-dire au moins 160 personnes par jour. Pour affronter cette marée constante, la direction de l’hôpital a prévu le renfort de deux aides-soignants… Une goutte d’eau. «Le 26 décembre, il y avait 40 patients en attente de lits. A chaque fois, on le sait, on prévient la direction. On dit : “Attention, on va avoir des problèmes.” Les gens restent là, dans les couloirs. Il y a un risque majeur d’erreurs graves, parce que vous ne pouvez pas avoir des yeux partout et surveiller tout ce qui se passe, c’est impossible», s’inquiète Maurice Raphaël.

L’été dernier, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-deFrance avait lancé un plan «zéro brancard aux urgences», s’inscrivant d’avance dans le pacte de refondatio­n des urgences annoncé en septembre par Agnès Buzyn, ministre des Solidarité­s et de la Santé. L’objectif est

A Paris, manifestat­ion des personnels hospitalie­rs le 17 décembre.

«d’améliorer la qualité de la prise en charge et des conditions de travail dans les services d’accueil des urgences», était-il dit en préambule. Fin novembre, bon élève, l’hôpital du Kremlin-Bicêtre a été

le premier établissem­ent francilien à signer un engagement avec l’ARS. Avec une série de mesures annoncées, comme l’ouverture de dix lits supplément­aires, mais aussi une accélérati­on des prises

en charge pour l’imagerie adultes pour les urgences non vitales.

Le plan évoquait aussi «une grille de fragilité» pour «identifier les patients susceptibl­es d’être hospitalis­és pendant plusieurs jours afin d’accélérer leur prise en charge sociale». Joli programme. «Sur le papier, c’est parfait, commente Maurice Raphaël, mais les 10 lits ouverts ont été fermés ailleurs. Alors il y a toujours le même goulot d’étrangleme­nt, d’autant que dans notre hôpital – pour des raisons non éclaircies –, la durée de séjour des patients est un peu plus longue qu’ailleurs.»

Colère.

Au CHU du Kremlin-Bicêtre, il manque chaque jour entre 70 et 80 infirmiers et infirmière­s. Ce cas n’est pas isolé. Les exemples de cette tension maximum sont légion, avec des réponses parfois déroutante­s des administra­tions. La semaine dernière, via France 3 Grand Est, on a appris qu’au centre hospitalie­r EmileMulle­r de Mulhouse (HautRhin), «une journée de garde à 2 200 euros a été proposée à un médecin urgentiste» pour le faire venir. De quoi susciter la colère de Jean-Marc Kelai, secrétaire de la section CFDT du groupement hospitalie­r Mulhouse-Sud : «Il y a quelques semaines, nous avons manifesté parce que la direction voulait [toucher à] une partie de la prime de service des agents. Et là, on voit qu’on arrive à trouver de l’argent pour rémunérer ces médecins intérimair­es.»

Autre symptôme de cette crise, au service des urgences de l’hôpital Joseph-Ducuing à Toulouse : neuf des onze médecins ont envoyé leur lettre de démission à la direction de l’établissem­ent, «ne voulant plus travailler dans un service démuni d’une aide-soignante la nuit et dans lequel une seule infirmière s’occupe de l’accueil et des soins».

Une fin d’annus horribilis.

Au niveau national, 1 062 chefs de service ont signé un appel à la démission, dans un texte commun adressé à la ministre de la Santé pour «faire en sorte que l’année prochaine ne ressemble pas à cette année». •

«La situation pour les semaines à venir s’annonce extrêmemen­t préoccupan­te.»

Maurice Raphaël chef des urgences au CHU du Kremlin-Bicêtre

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COrentin Fohlen
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Photo AFP

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