Libération

«Le Miracle du saint inconnu», chacun sa part de désert

Premier long métrage d’Alaa Eddine Aljem, ce beau conte ubuesque narre les péripéties d’un voleur dont le butin enterré a été recouvert par un mausolée.

- Élisabeth Franck-Dumas

Où naissent les mythes ? Peut-être sur un tas de pierres dans un désert marocain. C’est en tout cas là que démarre, dans le premier long métrage d’Alaa Eddine Aljem, la légende d’un saint inconnu qui, si l’on ne sait rien de ce qu’il a été (ni même s’il a vraiment été), accomplit néanmoins beaucoup de miracles. Son petit mausolée blanc se tient au sommet d’une colline pelée; il est construit dans le temps qui sépare le prologue du film de son premier chapitre. On y avait observé Amine, un voleur en cavale, enterrant son magot avant d’être pincé par la police ; lorsqu’il revient après une ellipse de quelques années pour le chercher, une micro-ville a poussé là (premier miracle), et l’on y voue un culte à ce qui se trouve à l’intérieur de la tombe. A chacun son idée, donc : pour le voleur, ses biftons ; pour tant d’autres, un saint inconnu ; pour un agriculteu­r qui se lamente, des champs laissés à l’abandon depuis cette ébauche d’urbanisati­on, la source de tous les maux.

Dents en or.

Le mausolée est l’objet de bien des convoitise­s, de telle sorte qu’il faudra au voleur des assauts répétés pour tenter des’emparer de son butin, contrecarr­és à chaque fois par des initiative­s de plus en plus absurdes – dues au zèle du gardien et de son chien (lequel sera violemment attaqué, des greffes de dents en or s’ensuivront), à l’ennui d’un aide infirmier qui défigure l’endroit pour passer le temps, à la superstiti­on d’un acolyte si idiot qu’il hérite du surnom de «cerveau», etc. L’intrigue se développe dans un cadre qui, n’étaient la sécheresse rurale et l’ancrage géographiq­ue, rappellera­it un peu ces capitales de l’exbloc communiste où poussent aussi et à vitesse grand V toutes sortes de monuments flambant neufs dédiés à des dictateurs nouveau style, les cultes n’étant, comme on sait, pas toujours indexés à la religion mais s’épanouissa­nt généraleme­nt dans le vide. La caméra enregistre merveilleu­sement ce paysage d’opérette, se plaçant toujours à bonne distance pour faire de la colline soit un Everest, soit un ridicule monticule de bande dessinée, en renfort du charme vaguement Tati de l’ensemble, hors du temps, voire bloqué dans un interrègne.

Sagesse.

Si les péripéties décrites par le Miracle du saint inconnu, révélé à la Semaine de la critique du dernier Festival de Cannes, sont résolument loufoques, la mise en scène, elle, se montre tout en retenue, pleine de silences et de temps morts qui soulignent le pur comique de situations reposant, non pas sur le ridicule de chacun – le film n’étant absolument pas moqueur, et les personnage­s n’existant que par et pour leur fonction narrative –, mais sur le recul offert par des respiratio­ns qui permettent d’envisager la folie avec sagesse. Le ton serait en effet celui d’un petit conte de Nasr Eddin Hodja, le fou qui était sage (dont c’est le moment de lâcher que son mausolée, en Turquie, serait vide, le corps n’ayant jamais été retrouvé) et l’humeur générale, un peu interloqué­e –chaque saynète se résolvant dans un appel d’air qui rappelle un peu les chutes de courts métrages ou des meilleures nouvelles.

Le Miracle du saint inconnu d’Alaa Eddine Aljem avec Younes Bouab, Salah Bensalah, Bouchaib Essamak… 1 h 40.

 ?? Photo Condor Distributi­on ?? Dix ans après, Amine (Younes Bouab) revient sur le lieu où il a enfoui son magot.
Photo Condor Distributi­on Dix ans après, Amine (Younes Bouab) revient sur le lieu où il a enfoui son magot.

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