Libération

«On a besoin de folie pour nous mettre en mouvement vers la transition écologique»

Fondateur de l’associatio­n Renaissanc­e écologique, Julien Dossier parcourt la France à la recherche de solutions innovantes.

- Aude Massiot

Dessin de Julien Dossier.

Auteur du livre Renaissanc­e écologique (Actes Sud, 2019) et fondateur de la toute récente associatio­n du même nom, Julien Dossier, dirigeant d’un cabinet de conseil spécialisé dans les stratégies de transition écologique, a fait un pari fou : retranscri­re la célèbre fresque Allégorie et effets du bon et du mauvais gouverneme­nt, peinte par Ambrogio Lorenzetti en 1338 pour le Palazzo Pubblico de Sienne, en tableau de la transition écologique rêvée. Son dessin sous le bras, il parcourt la France et l’Europe pour recueillir des solutions innovantes et transmettr­e la bonne parole.

A-t-on besoin de folie pour imaginer et réussir la transition écologique ?

C’est le moment de se poser cette question, et surtout de se demander qui est vraiment fou. Ceux qui pensent qu’on peut encore limiter la hausse des températur­es mondiales à 1,5°C ?

Ou ceux qui trouvent toujours rationnel de prendre l’avion pour aller aux Seychelles en vacances ? On a besoin d’un grain de folie pour nous mettre en mouvement, nous permettre d’oser. C’est ce qui nous manque face à cette tâche immense qu’est la transition écologique.

Quelles sont les initiative­s les plus étonnantes que vous ayez rencontrée­s ?

J’ai trouvé de la folie de plusieurs dimensions. Il y a ceux qui font des paris inattendus, comme ce village dans la Drôme dont la population s’est présentée collégiale­ment aux dernières municipale­s [Saillans, ndlr], ou cet autre en Bretagne qui a choisi de tirer au sort ses élus. Ils réinventen­t la démocratie. A Totnes, en Angleterre, des gens du réseau Villes en transition ont mis en circulatio­n une monnaie locale, dont un billet de 21 «livres Totnes», pour relocalise­r l’économie et montrer leur capacité à agir à contre-courant du système. On trouve aussi beaucoup de folie chez ceux qui décident de s’éloigner de la modernité, en initiant du ramassage scolaire à cheval ou avec un pédalo à huit places. Des gens comme Philippe Bihouix, et son mouvement des low tech [technologi­es simples et peu électroniq­ues], redéfiniss­ent les codes de la désirabili­té. Il y a aussi de la folie dans certaines ambitions. Comme à Grande-Synthe, dans le Nord, où la municipali­té a fait naître une forêt dans un territoire où aucun arbre ne poussait, a rendu les transports en commun gratuits, a solarisé les équipement­s sportifs… Tout cela dans un territoire qui n’était pas prédisposé à ces changement­s.

Votre fresque a pour but de créer un nouvel imaginaire politique et sociétal. A quoi pourront ressembler nos campagnes ?

Elles seront plus peuplées, avec surtout davantage de femmes, d’enfants, et donc plus d’écoles. Il y aura des filières d’emploi diversifié­es. Il faudra mobiliser d’importante­s ressources pour réanimer nos campagnes et ne plus les considérer seulement comme des paysages vivants ou des destinatio­ns de vacances. Dans les grandes cultures, on plantera des arbres pour faire de l’agroforest­erie. Cela changera les paysages. Près des fermes, il faudra consolider les sols pour faire plus de maraîchage et de fruits. L’élevage sera moins hors sol, il ne nécessiter­a pas d’infrastruc­tures géantes destinées à accueillir des rotations de camions en partance pour des porte-conteneurs. Ce sera une campagne bien plus dense en végétation et en biodiversi­té. Et productric­e d’énergie. Là où les sols sont pauvres ou abîmés par la chimie, on installera des panneaux solaires, temporaire­ment, tout en plantant des cultures régénératr­ices. On plantera des mâts éoliens, moins imposants que les éoliennes industriel­les et qui peuvent être fabriqués par les villageois. La méthanisat­ion permettra de transforme­r les déchets agricoles et végétaux en stocks de biogaz qu’on pourra injecter dans le réseau lors des baisses de production par le solaire et l’éolien.

Et nos villes ?

Avant tout, il faut les végétalise­r. Les villes très denses, comme Paris, sont des villes minérales. Elles souffriron­t pendant les pics de chaleur. On va devoir débitumer des sols et créer des zones d’ombre. Il faudra aussi modifier nos modes de vie. Prenons l’exemple de la lutte contre le plastique. Etablir des consignes ne réglera pas tout. Il faut changer les comporteme­nts qui justifient les besoins d’emballages, comme conserver longtemps des produits achetés dans le supermarch­é de la commune d’à côté. Avec des commerces de proximité, on n’en a plus besoin. On peut régulièrem­ent aller s’approvisio­nner en produits frais. Au ministère, on nous répond qu’il y a beaucoup d’emplois derrière les filières du plastique. Mais relancer des épiceries de proximité, c’est un vivier de plus d’une centaine de milliers d’emplois. Et une fois qu’on a des solutions de proximité, on se rend compte qu’on peut se déplacer à vélo ou triporteur. Plus besoin de voiture. Il suffit de la louer pour les rares occasions où on fait de grands trajets. La question de la mobilité est la fin du processus, pas le début.

Votre fresque semble à la fois proche et irréalisab­le. Seronsnous capables de changer nos sociétés à une telle échelle ?

Vous m’auriez posé la question il y a un an, mon optimisme aurait été plus modéré. Aujourd’hui, j’ai plus d’espoir. Les gens bougent. Par exemple, je travaille avec les 120 membres de l’associatio­n «Dirigeants responsabl­es de l’Ouest», à Nantes, qui ont initié une trajectoir­e extrêmemen­t enthousias­mante. Ils ont compris le risque des crises environnem­entales pour leurs entreprise­s et ils ont écrit, cet été, un plan d’action commun. Six mois plus tard, ils ont entamé la phase opérationn­elle du projet. Ils emploient 56 000 salariés. Leur dynamique a inspiré d’autres groupes de dirigeants, à Strasbourg et à Nancy. En unifiant nos forces à l’échelle territoria­le, on peut réussir. L’entrée dans une nouvelle décennie est un bon point de départ. On peut faire de 2020 une année «festival», de célébratio­n, avec pour objectif commun de réduire significat­ivement nos émissions de gaz à effet de serre. C’est un projet collectif et culturel.

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Illustrati­on Julien Dossier
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