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En Finlande, un peuple bon pied bonheur

Selon plusieurs classement­s, les Finlandais seraient les plus heureux du monde. Une distinctio­n qui surprend les premiers concernés, plutôt taciturnes et mélancoliq­ues. Si la définition du bien-être reste subjective, la nature et la confiance en l’autre e

- Par Romain Boulho Envoyé spécial à Tampere Photos Alessandro RAMPAZZO. RéA

ATampere, les sourires s’allongent comme n’importe quel sourire, les mines tristes aussi, et tout ça en est presque bizarre. Car il y a là, à deux heures d’Helsinki, les gens les plus heureux du monde. Enfin, si l’on en croit à la fois les Finlandais euxmêmes, qui considèren­t Tampere comme le lieu le plus attractif du pays, et l’étude d’Eurostat sur le bien-être dans l’Union européenne, parue en novembre. L’institut de statistiqu­es de la Commission y conclut que le petit pays du Nord, 5,5 millions d’habitants, est le plus heureux des Etats membres, accréditan­t ainsi le classement des deux derniers rapports des Nations unies, 2018 et 2019, sur le bonheur, où la Finlande dominait ni plus ni moins le monde.

«On sent le souffle du kaamos»

Au creux de novembre, dans le lacis de sentiers de Pispala, quartier excentré de Tampere à la réputation marquée à gauche, les maisons tachent de leurs teintes pastel la décolorati­on

Le lac Pyhäjärvi depuis les berges du quartier excentré de Pispala, à Tampere.

ambiante. L’associatio­n d’art contempora­in Hirvitalo, sise dans une bâtisse un peu branlante, règne alentour en haut lieu de contre-culture, tendance anar, entre les stickers «Refugees welcome» et la tête d’élan empaillée dans un recoin. Quand tombe la question ce jour-là, c’est au milieu des tracta

tions sur les prochaines exposition­s à monter, des bières et des rots qui sonnent fort. Alors c’est vrai, la Finlande est le pays le plus heureux au monde? Toutes les bouches de Hirvitalo, soit cinq ou six, cueillent dans un même élan et d’un même rictus un peu moqueur. «Attends, si les Finlandais sont vraiment les plus

heureux, alors c’est sûr, on vit dans un monde de merde, dégaine aussitôt le patron, Sami. Il y a quelques années, on était le pays où l’on se suicidait le plus… Et maintenant le plus heureux ! Non mais vraiment, qui fait ce genre de trucs ?»

Un grand gars tout en os devise : «Tu le vois où le bonheur, là ? C’est le blues en ce moment. On entre dans la période de l’année la plus effrayante, tout est plus gris que gris.» Surtout, «la neige n’a même pas encore pointé, dit un autre. Au moins, ça fait un peu de lumière». Le grand gars, Marko, n’a pas un poil au crâne pour lui tenir chaud. «Tu as vu dehors ? demande-t-il de sa voix rouée. Le kaamos [la nuit polaire, ndlr] est là. Il ne sera pas complet dans cette partie du pays, mais on sent son souffle.»

Dehors : 15 heures a filé depuis peu et le jour a déjà rendu l’âme. Pispala, ruban de terre tout en hauteur écrasé entre les lacs Näsijärvi et Pyhäjärvi, est comme pétrifié. Au bas du flanc sud de la crête, le Pyhäjärvi étend ses eaux noires hérissées de bouleaux hâves. Des potagers collectifs vivotent tout près, des brouettes y restent cramponnée­s au sol comme des statues, encore pleines des mauvaises herbes de l’arrière-saison.

Dans un pays aux 188000 lacs, à l’épais manteau sylvestre (70 % du territoire est constitué de forêts), cette atmosphère, commune, sombre, a abondammen­t nourri la psyché des Finlandais, qui se voient comme un peuple taciturne et aiment à entretenir cette image : la dépression, la mélancolie sont autant de thèmes qui saillent de leurs

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