Au Liban, accueil tout confort pour le fugitif
Beyrouth a réservé la meilleure réception à Carlos Ghosn, qui semble désormais à l’abri de la justice japonaise… mais aussi française : trois procédures – deux judiciaires, une fiscale – sont lancées à son encontre dans l’Hexagone.
Un havre de paix judiciaire. Finie l’assignation à résidence. Terminée l’utilisation d’Internet sous contrôle. Bye bye les caméras de vidéosurveillance. En se faisant la belle pour Beyrouth, Carlos Ghosn, sous le coup de quatre mises en accusation au Japon, retrouve une liberté de mouvement et de parole. Un doute aurait toutefois pu subsister sur l’accueil réservé par les autorités libanaises à l’ancien PDG de Renault-Nissan, après son départ en catimini, au nez et à la barbe de la justice nippone.
Or, quelques heures après son arrivée dans la capitale libanaise, les représentants du gouvernement se sont empressés de faire savoir que cette présence ne leur posait aucun problème. «Il est entré légalement au Liban», a indiqué le ministre des Affaires étrangères tandis que la Direction de la sûreté générale libanaise faisait savoir qu’«aucune mesure n’imposait l’adoption de procédures à son encontre». En outre, le ministère de la Justice a bien précisé qu’il n’existait pas d’accord d’extradition entre le Liban et le Japon.
Invisible.
Une zone d’ombre demeure néanmoins. Quel document officiel Carlos Ghosn a-t-il utilisé pour quitter le Japon et entrer sur le territoire libanais ? Ses trois passeports (français, libanais, brésilien) étaient conservés par son avocat à Tokyo. Selon l’ancien ministre libanais de la Justice Ibrahim Najjar, l’ex-patron de Renault aurait très bien pu débarquer à Beyrouth avec une simple carte d’identité. Invisible depuis son arrivée au Liban, le dirigeant déchu pourra profiter du confort de ses demeures, dont l’une est située dans le luxueux quartier d’Achrafieh. Signe du traitement VIP auquel il a droit, le président libanais, Michel Aoun, l’aurait reçu dans sa résidence officielle, selon l’agence de presse Reuters. Désormais, le Japon peut faire appel à Interpol, le service international de coopération policière, pour essayer de remettre la main sur Ghosn et le ramener en temps et en heure pour son procès. Mais cette procédure suppose que deux conditions soient réunies: il faut d’abord que l’ex-PDG décide de sortir des frontières du Liban puis que le pays dans lequel il se rend accepte d’exécuter un mandat d’arrêt international. Or tous les Etats n’appliquent pas systématiquement cette procédure.
Facture.
En trouvant refuge au Liban, Carlos Ghosn ne met pas uniquement de la distance entre lui et la justice japonaise. Il prend également quelques distances avec trois procédures lancées en France à son encontre. Le parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) s’intéresse à la réception donnée au château de Versailles pour le mariage de Carlos et Carole Ghosn, le 8 octobre 2016. Apparemment, la facture de la noce – 50 000 euros – aurait été réglée par Renault, dont ce n’est pas vraiment la vocation. Une enquête préliminaire a également été ouverte sur un virement de 15 millions d’euros d’un compte bancaire de Renault en France vers un agent de la marque au losange au sultanat d’Oman. Or les raisons de ce transfert d’argent, qui aurait pu bénéficier au final à un membre de la famille Ghosn, demeurent obscures. Dans ces deux enquêtes, les policiers qui travaillent sous l’autorité du parquet de Nanterre auraient pu éprouver le besoin d’interroger le fugitif. Il n’est pas acquis que, désormais, l’intéressé réponde favorablement à une telle convocation.
Enfin, le fisc français s’intéresse à Carlos Ghosn, qui n’est plus résident fiscal en France depuis 2012. Une procédure de contrôle est en cours depuis l’été 2019 afin de savoir si certains revenus de l’ex-PDG perçus en France n’auraient pas échappé à l’impôt. En outre, sa réception de mariage, si elle était requalifiée par le fisc en avantage en nature puisque payée par Renault, pourrait donner lieu à un redressement fiscal. L’escapade libanaise de Carlos Ghosn risque donc de générer des déceptions autant à Paris qu’à Tokyo.