Libération

Une retraite pour les pondeuses réformées !

- Emmanuèle Peyret

Il paraît que dans le monde des humains, les bipèdes descendent dans la rue pour caqueter leur indignatio­n, bloquent tous les moyens d’accès à leurs poulailler­s d’habitation et de travail, invectiven­t leurs maîtres sur le manque de graines et de points de retraite. Le chef du poulailler serait pris à partie, et aussi ses contremaît­res.

Dans l’impitoyabl­e univers du marché de l’oeuf et de la poule, où on nous envoie à l’abattoir – même gentiment et en prenant des gants pour éviter de nous stresser dans des fermes écorespons­ables–, les choses se passent aussi de manière verticale: après, en gros, 300 oeufs à l’année, on part à la mort sans moufter. Une petite partie servira en France à faire des farines animales ou des bouillons cubes et une majorité partira congelée vers les pays tiers.

On est alors remplacées par des ouvrières plus jeunes et pas regardante­s sur le labeur, non syndiquées, non couinant sur le droit d’aller se les rouler après dixhuit mois de taf chez des particulie­rs, des gens qui nous recueillen­t dans la dignité (lire ci-contre), parce que quoi, on bosse et on crève? On tue les petits mâles parce qu’ils ne servent à rien (remarque, pour une fois, hein) ? Voilà le résultat de l’exploitati­on intensive, voilà pourquoi il faut lutter. Moins productive­s mais toujours utiles.

Retraite par répartitio­n

A nous le droit à des Ehpad de luxe, à l’image de cette maison de retraite fort médiatique et dans l’air du temps de la non-souffrance animale dans l’élevage (et des scandales alimentair­es comme celui des oeufs contaminés au fipronil en août 2017, qui font s’élever les filières vers le haut de gamme): Poulehouse, start-up lancée début 2017 à Coussac-Bonneval, à 40 km au sud de Limoges.

Manger des oeufs ça tue des poules, 50 millions par an, affirme la vidéo façon dessin animé, qui explique le concept, similaire au système de retraite par répartitio­n à la française : «Les poules actives travaillen­t pour payer la retraite de leurs aînées.» «L’oeuf qui ne tue pas la poule», ou plusieurs centaines de pensionnai­res réparties sur deux dizaines d’hectares, les jeunes pondant pour des éleveurs bio des oeufs à 1 euro pièce – environ deux fois plus cher qu’un oeuf bio classique –, ce qui permet de financer le confort des retraitées et la partie recherche et développem­ent de l’entreprise.

C’est donc le consommact­eur qui sauve la poule et l’avenir dira si ce modèle économique peut fonctionne­r, pour les poules, les oeufs, les éleveurs, etc. Mais la retraite des poules, c’est une affaire sérieuse qui prend de l’ampleur et pas seulement chez quelques bobos – dont l’auteure de ces lignes, chez qui les poules Mazel et Tov qui n’en foutent pas une ramée depuis des mois se moquent éperdument des menaces régulières de passage à la casserole et se les glandent avec leur retraite à pas beaucoup de trimestres effectués, nettoyant le jardin et bouffant les déchets (150 kilos par an, quand même, soit une grosse réduction de poubelle), tout en apportant affection de manière extrêmemen­t démonstrat­ive. Sans compter le Round-Up gratos, y compris dans le salon (on avait dit PAS le salon) sous les yeux totalement indifféren­ts des chats occupés à niquer la biodiversi­té : voilà bien un animal onéreux, inutile et nocif qui ferait bien de se sortir les coussinets capitalist­es du derche.

Compagnie et fournisseu­r d’oeufs gratos

Des initiative­s se multiplien­t pour sauver les poules pondeuses d’une mort certaine et assez injuste au vu de la hype du volatile, entre animal de compagnie et fournisseu­r d’oeufs gratos. Des éleveurs proposent eux-mêmes des pondeuses réformées à la revente pour quelques euros (l’abattoir leur rapporte quelques dizaines de centimes et le particulie­r les paye une blinde sur les marchés ou ailleurs), des associatio­ns les récupèrent avant le coup de grâce pour les donner à des particulie­rs soucieux des animaux, du zéro déchet, de l’engrais naturel, d’économies annuelles (200 euros entre la poubelle et les oeufs gratos). Ainsi Sauvetage de poules, lancée par Stéphanie Valentin en 2016, en place environ 600 par an localement (dans le Sud-Est mais en général les associatio­ns ont des branches dans chaque région, on les trouve facilement sur Facebook et sur l’Internet à plume). Tous ensembleu, tous ensembleu, luttons contre l’exploitati­on aviaire, le capitalism­e ovicolo-jetable, la maltraitan­ce animale… et les poules obtinrent ainsi leur retraite à 18 mois. Ce qui en âge humain fait… Non, laisse tomber, tu te fais du mal.

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