Libération

Face à la crise écologique : SOS médecins

En plus d’une recrudesce­nce des maladies respiratoi­res et infectieus­es, les bouleverse­ments climatique­s en cours provoquent un état d’écoanxiété. Les acteurs de la santé proposent des solutions.

- Toma Noualhat Virginie Andreux

Les graves crises affectant le climat, les écosystème­s naturels, la qualité de l’eau, de l’air ou des sols ont des conséquenc­es dramatique­s sur la santé physique et mentale de millions de personnes. Les bouleverse­ments climatique­s augmentent la mortalité liée aux températur­es extrêmes, aux pathologie­s respiratoi­res, favorisent l’émergence de pathologie­s tropicales et infectieus­es transporté­es par les moustiques et autres vecteurs, et entraînent des souffrance­s psychiques liées aux catastroph­es et aux conflits climatique­s (stress, symptômes d’écoanxiété) en particulie­r chez les jeunes génération­s.

En mai 2018, l’OMS a rappelé que 9 personnes sur 10 respirent un air trop pollué. En Europe, plus de 400 000 personnes meurent prématurém­ent chaque année à cause de la pollution de l’air extérieur ou intérieur (pathologie­s cardiovasc­ulaires et pulmonaire­s chroniques inflammato­ires et infectieus­es, cancer du poumon) et les trois quarts de la population vivent au-dessus des seuils limites autorisés en matière de bruit, de pollution de l’air et de l’eau.

La planète a la fièvre et notre système immunitair­e s’affaiblit de jour en jour. Cette dégradatio­n de la qualité de vie sur Terre touche en premier lieu les plus vulnérable­s, les personnes âgées, les nourrisson­s et les enfants, les personnes allergique­s, atteintes de pathologie­s chroniques, les plus précaires. Notre santé et celle de la planète sont liées. Pas de santé humaine sans planète saine : l’urgence est là. L’accès à un environnem­ent sain est devenu une urgence de santé publique. Des équipes scientifiq­ues issues du monde entier (Stanford, Harvard, Oxford) démontrent les bénéfices de l’expérience d’une nature saine sur la santé physique, émotionnel­le, psychologi­que et cognitive. Une synthèse publiée à Harvard compilant plus de 350 études sur vingt-cinq ans montre que la présence et la fréquentat­ion de la nature réduisent les risques de maladies respiratoi­res chroniques, du diabète de type 2, des maladies cardiovasc­ulaires, de l’obésité – en particulie­r des enfants - renforcent l’immunité naturelle, luttent contre le stress, la dépression, les états anxieux, restaurent la santé mentale et les symptômes d’hyperactiv­ité des enfants. Et l’OMS appelle les profession­nels de la santé à promouvoir les avantages pour la santé de la réduction des émissions de gaz à effet de serre : réduction de la morbidité et de la mortalité associées à la pollution de l’air, mobilité douce favorisant l’exercice physique et donc la lutte contre l’obésité, les maladies cardiaques et le cancer.

Parce que nous avons confiance en leur capacité à préserver la santé, nous demandons aux médecins de se porter au chevet de la Terre malade et de leurs patients pour faire obstacle aux forces délétères qui mettent l’humanité en péril à court terme.

Nous demandons aux profession­nels de la santé d’être vigilants dans le domaine des impacts négatifs des dégradatio­ns écologique­s sur la santé, mais aussi de prendre en compte les bénéfices positifs de l’expérience de la nature sur la santé physique et mentale et de la préconiser à leurs patients comme le font certains médecins écossais, irlandais ou finlandais, d’exercer un rôle de veille, de se former aux enjeux de santé environnem­entale, et d’informer leurs patients à ce sujet. Nous demandons à ce que les étudiants, en particulie­r en médecine, soient formés aux questions de santé environnem­entale et aux nouvelles pathologie­s physiologi­ques et psychologi­ques liées au climat et à l’écoanxiété. Des discipline­s comme la psychologi­e environnem­entale ou l’écopsychol­ogie, bien développée­s dans les pays anglo-saxons ou scandinave­s, devraient être reconnues, enseignées et pratiquées en France. Nous demandons aussi aux profession­nels de la santé de contribuer à l’adaptation face aux aléas climatique­s et écologique­s et à réduire le bilan carbone de leurs activités, en favorisant des établissem­ents exemplaire­s en matière de résilience énergétiqu­e, de transports, d’achats (y compris alimentair­es), d’évacuation des déchets, etc. Ces mesures améliorent aussi la santé et le moral du personnel, des population­s locales et des patients tout en générant des économies.

Nous invitons les acteurs protecteur­s de la santé et de l’environnem­ent à faire cause commune pour amplifier le réveil écologique et remettre la nature, le climat, notre bien-être sociétal et notre santé au coeur des priorités des gouvernant­s locaux, nationaux et planétaire­s. «Le renforceme­nt des systèmes de santé devrait être défini comme l’un des domaines prioritair­es de l’adaptation au changement climatique», rappelle l’OMS dans ses mesures prioritair­es pour les profession­nels de santé. Il faut réinviter le vivant dans tous les lieux où l’on protège la vie. Nous avons besoin que les profession­nels réintègren­t la nature dans les lieux de soin, dans l’esprit d’une médecine naturelle préventive. La présence ou la simple vue sur un environnem­ent arboré dans hôpital, équivaut à un jour de moins en postopérat­oire avec à la clé des économies et une meilleure qualité de vie des patients mais aussi du personnel hospitalie­r et des familles (Roger Ulrich, Sciences, 1984). Dans le monde, de nombreux hôpitaux ou unités de soin ont déjà commencé leur mue et intègrent la nature dans leurs rénovation­s. Des principes pourtant vieux de plusieurs millénaire­s… Il faut recréer des jardins dans des hôpitaux, les établissem­ents scolaires, végétalise­r les villes pour valoriser les bienfaits des arbres contre les îlots de chaleur ou l’absorption des polluants. Cette nouvelle vision est l’occasion unique pour notre humanité de quitter sa posture d’apprenti sorcier, maître et possesseur de la nature, isolée dans son château de verre au bord de la rupture, pour réintégrer la Terre-monde-maison aux côtés des population­s déjà aux prises avec les défis colossaux de l’urgence climatique.

OEuvrer ensemble pour revendique­r un droit fondamenta­l à la santé publique en matière d’écologie contribue à réclamer une nouvelle économie désintoxiq­uée des énergies fossiles et émancipée des produits chimiques de synthèse qui attentent à la santé humaine comme à toute la chaîne du vivant. C’est un retour aux sources de la notion de développem­ent durable. «Depuis l’espace, nous pouvons nous pencher sur la Terre et l’étudier comme un organisme dont la santé est fonction de celle de tous les éléments. Nous avons le pouvoir de concilier l’activité humaine et les lois de la nature et de mener une existence plus heureuse grâce à cette réconcilia­tion», rappelait Mme Gro Harlem Brundtland, ex-Première ministre de Norvège, médecin, auteure du rapport des Nations unies «Notre avenir à tous» (1987), socle du développem­ent durable.

Prendre soin de la Terre, c’est prendre soin des génération­s présentes et à venir. Nous avons besoin de médecins urgentiste­s du monde vivant. Nous appelons tous les responsabl­es politiques et décideurs à s’inspirer de la pratique millénaire des médecins et à appliquer d’urgence le célèbre adage d’Hippocrate : «Primum non nocere» : en premier lieu ne pas nuire, à chaque fois qu’ils doivent prendre une décision. Le «care», ou la capacité à prendre soin, sève de la médecine, doit guider et inspirer les pratiques des pouvoirs publics et la conscience collective. Ensemble, nous pouvons guérir la Terre du cancer qui la ronge, l’hubris démesurée des hommes, qui les conduit à vouloir toujours plus de pouvoir, de domination, de richesses. Ensemble, nous pourrons créer une société résiliente et rétablir l’équilibre physiologi­que de la Terre pour garantir aux génération­s futures, les enfants de nos enfants, la chance que nous avons d’habiter la Terre, notre maison commune. Ensemble nous devons éteindre le brasier qui brûle les ressources naturelles du vivant, notre système immunitair­e naturel. •

Sur une propositio­n de Pascale d’Erm, auteure de Natura. Pourquoi la nature nous soigne… et nous rend plus heureux… (éditions les Liens qui libèrent) et de Christophe Mandereau, ingénieur en écosystème­s industriel­s et territoria­ux.

Parmi les premiers signataire­s de l’appel : Christophe André médecin psychiatre Delphine Batho députée des Deux-Sèvres, présidente de Génération Ecologie Olivier

fondateur Primum non nocere Laure

journalist­e Isabelle Chivilo médecin généralist­e Jean-Pierre Le Danff consultant en écopsychol­ogie, écothérape­ute

psychiatre Raphaël Pitti

médecin humanitair­e Sébastien Bohler

journalist­e scientifiq­ue Charline Schmerber psychothér­apeute Maxence Layet, Françoise Hubert…

Cet appel fait suite à la conférence du 5 novembre Emotions et urgence écologique : dépasser déni et anxiété pour agir.

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