Face à la crise écologique : SOS médecins
En plus d’une recrudescence des maladies respiratoires et infectieuses, les bouleversements climatiques en cours provoquent un état d’écoanxiété. Les acteurs de la santé proposent des solutions.
Les graves crises affectant le climat, les écosystèmes naturels, la qualité de l’eau, de l’air ou des sols ont des conséquences dramatiques sur la santé physique et mentale de millions de personnes. Les bouleversements climatiques augmentent la mortalité liée aux températures extrêmes, aux pathologies respiratoires, favorisent l’émergence de pathologies tropicales et infectieuses transportées par les moustiques et autres vecteurs, et entraînent des souffrances psychiques liées aux catastrophes et aux conflits climatiques (stress, symptômes d’écoanxiété) en particulier chez les jeunes générations.
En mai 2018, l’OMS a rappelé que 9 personnes sur 10 respirent un air trop pollué. En Europe, plus de 400 000 personnes meurent prématurément chaque année à cause de la pollution de l’air extérieur ou intérieur (pathologies cardiovasculaires et pulmonaires chroniques inflammatoires et infectieuses, cancer du poumon) et les trois quarts de la population vivent au-dessus des seuils limites autorisés en matière de bruit, de pollution de l’air et de l’eau.
La planète a la fièvre et notre système immunitaire s’affaiblit de jour en jour. Cette dégradation de la qualité de vie sur Terre touche en premier lieu les plus vulnérables, les personnes âgées, les nourrissons et les enfants, les personnes allergiques, atteintes de pathologies chroniques, les plus précaires. Notre santé et celle de la planète sont liées. Pas de santé humaine sans planète saine : l’urgence est là. L’accès à un environnement sain est devenu une urgence de santé publique. Des équipes scientifiques issues du monde entier (Stanford, Harvard, Oxford) démontrent les bénéfices de l’expérience d’une nature saine sur la santé physique, émotionnelle, psychologique et cognitive. Une synthèse publiée à Harvard compilant plus de 350 études sur vingt-cinq ans montre que la présence et la fréquentation de la nature réduisent les risques de maladies respiratoires chroniques, du diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires, de l’obésité – en particulier des enfants - renforcent l’immunité naturelle, luttent contre le stress, la dépression, les états anxieux, restaurent la santé mentale et les symptômes d’hyperactivité des enfants. Et l’OMS appelle les professionnels de la santé à promouvoir les avantages pour la santé de la réduction des émissions de gaz à effet de serre : réduction de la morbidité et de la mortalité associées à la pollution de l’air, mobilité douce favorisant l’exercice physique et donc la lutte contre l’obésité, les maladies cardiaques et le cancer.
Parce que nous avons confiance en leur capacité à préserver la santé, nous demandons aux médecins de se porter au chevet de la Terre malade et de leurs patients pour faire obstacle aux forces délétères qui mettent l’humanité en péril à court terme.
Nous demandons aux professionnels de la santé d’être vigilants dans le domaine des impacts négatifs des dégradations écologiques sur la santé, mais aussi de prendre en compte les bénéfices positifs de l’expérience de la nature sur la santé physique et mentale et de la préconiser à leurs patients comme le font certains médecins écossais, irlandais ou finlandais, d’exercer un rôle de veille, de se former aux enjeux de santé environnementale, et d’informer leurs patients à ce sujet. Nous demandons à ce que les étudiants, en particulier en médecine, soient formés aux questions de santé environnementale et aux nouvelles pathologies physiologiques et psychologiques liées au climat et à l’écoanxiété. Des disciplines comme la psychologie environnementale ou l’écopsychologie, bien développées dans les pays anglo-saxons ou scandinaves, devraient être reconnues, enseignées et pratiquées en France. Nous demandons aussi aux professionnels de la santé de contribuer à l’adaptation face aux aléas climatiques et écologiques et à réduire le bilan carbone de leurs activités, en favorisant des établissements exemplaires en matière de résilience énergétique, de transports, d’achats (y compris alimentaires), d’évacuation des déchets, etc. Ces mesures améliorent aussi la santé et le moral du personnel, des populations locales et des patients tout en générant des économies.
Nous invitons les acteurs protecteurs de la santé et de l’environnement à faire cause commune pour amplifier le réveil écologique et remettre la nature, le climat, notre bien-être sociétal et notre santé au coeur des priorités des gouvernants locaux, nationaux et planétaires. «Le renforcement des systèmes de santé devrait être défini comme l’un des domaines prioritaires de l’adaptation au changement climatique», rappelle l’OMS dans ses mesures prioritaires pour les professionnels de santé. Il faut réinviter le vivant dans tous les lieux où l’on protège la vie. Nous avons besoin que les professionnels réintègrent la nature dans les lieux de soin, dans l’esprit d’une médecine naturelle préventive. La présence ou la simple vue sur un environnement arboré dans hôpital, équivaut à un jour de moins en postopératoire avec à la clé des économies et une meilleure qualité de vie des patients mais aussi du personnel hospitalier et des familles (Roger Ulrich, Sciences, 1984). Dans le monde, de nombreux hôpitaux ou unités de soin ont déjà commencé leur mue et intègrent la nature dans leurs rénovations. Des principes pourtant vieux de plusieurs millénaires… Il faut recréer des jardins dans des hôpitaux, les établissements scolaires, végétaliser les villes pour valoriser les bienfaits des arbres contre les îlots de chaleur ou l’absorption des polluants. Cette nouvelle vision est l’occasion unique pour notre humanité de quitter sa posture d’apprenti sorcier, maître et possesseur de la nature, isolée dans son château de verre au bord de la rupture, pour réintégrer la Terre-monde-maison aux côtés des populations déjà aux prises avec les défis colossaux de l’urgence climatique.
OEuvrer ensemble pour revendiquer un droit fondamental à la santé publique en matière d’écologie contribue à réclamer une nouvelle économie désintoxiquée des énergies fossiles et émancipée des produits chimiques de synthèse qui attentent à la santé humaine comme à toute la chaîne du vivant. C’est un retour aux sources de la notion de développement durable. «Depuis l’espace, nous pouvons nous pencher sur la Terre et l’étudier comme un organisme dont la santé est fonction de celle de tous les éléments. Nous avons le pouvoir de concilier l’activité humaine et les lois de la nature et de mener une existence plus heureuse grâce à cette réconciliation», rappelait Mme Gro Harlem Brundtland, ex-Première ministre de Norvège, médecin, auteure du rapport des Nations unies «Notre avenir à tous» (1987), socle du développement durable.
Prendre soin de la Terre, c’est prendre soin des générations présentes et à venir. Nous avons besoin de médecins urgentistes du monde vivant. Nous appelons tous les responsables politiques et décideurs à s’inspirer de la pratique millénaire des médecins et à appliquer d’urgence le célèbre adage d’Hippocrate : «Primum non nocere» : en premier lieu ne pas nuire, à chaque fois qu’ils doivent prendre une décision. Le «care», ou la capacité à prendre soin, sève de la médecine, doit guider et inspirer les pratiques des pouvoirs publics et la conscience collective. Ensemble, nous pouvons guérir la Terre du cancer qui la ronge, l’hubris démesurée des hommes, qui les conduit à vouloir toujours plus de pouvoir, de domination, de richesses. Ensemble, nous pourrons créer une société résiliente et rétablir l’équilibre physiologique de la Terre pour garantir aux générations futures, les enfants de nos enfants, la chance que nous avons d’habiter la Terre, notre maison commune. Ensemble nous devons éteindre le brasier qui brûle les ressources naturelles du vivant, notre système immunitaire naturel. •
Sur une proposition de Pascale d’Erm, auteure de Natura. Pourquoi la nature nous soigne… et nous rend plus heureux… (éditions les Liens qui libèrent) et de Christophe Mandereau, ingénieur en écosystèmes industriels et territoriaux.
Parmi les premiers signataires de l’appel : Christophe André médecin psychiatre Delphine Batho députée des Deux-Sèvres, présidente de Génération Ecologie Olivier
fondateur Primum non nocere Laure
journaliste Isabelle Chivilo médecin généraliste Jean-Pierre Le Danff consultant en écopsychologie, écothérapeute
psychiatre Raphaël Pitti
médecin humanitaire Sébastien Bohler
journaliste scientifique Charline Schmerber psychothérapeute Maxence Layet, Françoise Hubert…
Cet appel fait suite à la conférence du 5 novembre Emotions et urgence écologique : dépasser déni et anxiété pour agir.