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«Il y a cent ans, vu mon caractère, j’aurais fini en asile»

Deux ans après avoir quitté la politique sans regret, l’écolo Cécile Duflot raconte une ancienne vie où, malgré les réussites, elle s’est confrontée au sexisme et a dû s’imposer pour se faire respecter.

- Recueilli par Sylvain Chazot C’est-à-dire ?

Directrice générale d’Oxfam France depuis juin 2018, l’ancienne dirigeante écologiste et ministre du Logement revient sur ses années politiques aux côtés des

«pénibles», les amitiés parfois inattendue­s que la vie d’élue procure et le sexisme contre lequel les femmes se battent toujours pied à pied.

Cela fait deux ans que vous n’êtes plus en politique. Qu’est-ce qui vous manque ?

Rien.

On était sûr que vous diriez ça…

Ce n’est pas une formule. Je suis allée au bout du truc et j’ai énormément donné. Ce qui pourrait me manquer, c’est la possibilit­é d’agir concrèteme­nt, cette facilité, quand j’étais ministre, de se dire que certaines choses seraient aisées à faire parce qu’on a les clés. Mes équipes aussi me manquent souvent. Mais j’ai tellement défendu le noncumul dans le temps, le fait que la politique n’est pas un métier, que je suis contente d’être fidèle à moi-même. Et puis les gens ne s’y attendaien­t tellement pas. Franchemen­t, mon meilleur «coup» politique, c’est cette interview [en avril 2018 au Monde, ndlr] où je dis que j’arrête la politique.

Votre défaite à la primaire d’EE-LV en 2016 vous a aussi aidée…

J’ai perdu comme Noël Mamère a perdu la primaire en 2001, comme Nicolas Hulot ou Dominique Voynet. Les Verts désignent comme candidat à la présidenti­elle la personne la moins attendue. J’étais donc prévenue mais j’avais sans doute le sentiment de tellement devoir à cette famille politique que j’avais besoin qu’on me dégage pour me sentir libérée.

Quelle est la chose dont vous êtes la plus fière ?

La séquence 2009-2012. En 2007, les écolos font 1,57% à la présidenti­elle. On est tellement en faillite qu’on ne peut même plus payer le plombier et qu’on met des seaux sous les fuites d’eau au plafond. Et puis, il y a les européenne­s de 2009 évidemment. On fait cette séquence où on gagne les régionales, on gagne les sénatorial­es, les cantonales, les législativ­es et la présidenti­elle. Bon, après, ça s’est mal passé mais ce moment de rassemblem­ent de la gauche et des écolos, c’était bien.

Et d’un point de vue plus personnel ?

Mon discours au Congrès en 2015 après les attentats du 13 Novembre. Il n’y a pas longtemps, aux journées d’été du Medef, un monsieur très chic m’interpelle. Je me dis que c’est encore un multipropr­iétaire pas content qui va m’engueuler. Pas du tout. Il me dit : «Je ne suis pas du tout de votre bord mais vous avez prononcé devant le Congrès l’un des discours les plus puissants que j’aie jamais entendus de ma vie.» Je l’ai regardé, j’étais comme un crapaud (rires).

Une mesure emblématiq­ue ? L’encadremen­t des loyers. Si ça n’avait pas été porté par quelqu’un comme moi, avec mon caractère, ça n’aurait pas vu le jour. Le Président n’était pas fan : il fallait être têtue pour y arriver, et ne pas avoir peur des coups.

Je me suis fait défoncer. Certains ont tout utilisé : VSD a quand même fait sa une sur «L’autre affaire Cantat» [en 2013, Xavier Cantat, alors compagnon de Cécile Duflot, avait expliqué sur Twitter ne pas souhaiter se rendre au défilé du 14 Juillet, se félicitant que sa chaise reste vide “au défilé de bottes”, ndlr]. Je me souviens de cette violence, quelques jours après le lancement de la loi Alur.

Quel a été votre plus grand moment de solitude ?

Personnell­ement, ça, ce 14 juillet 2013, quand je descends de la tribune et que je comprends ce qui va déferler. C’est cet événement qui fait que j’ai une vraie gratitude pour Jean-Marc Ayrault. Ça peut surprendre mais lors de la séance de questions au gouverneme­nt qui a suivi, le 16 juillet, j’ai vu qu’on lui disait de ne pas le faire mais il s’est levé et il m’a défendue. C’est pour ça que j’étais émue. Pas à cause des attaques. Je me suis dit que c’était chic de sa part de faire ça. Je pense qu’il l’a fait pour des raisons humaines.

La place des femmes dans ce milieu a changé pendant vos années politiques…

Oui, mais ce n’est pas terminé. Le fait que des actrices parlent aujourd’hui de sexisme, des filles identifiée­s comme très belles, avec une belle vie… Elles libèrent et déculpabil­isent toutes les femmes. Et puis il y a des symboles.

L’histoire de ma robe, c’est devenu un totem d’immunité. Aujourd’hui, j’adore voir Sibeth [Ndiaye, porte-parole du gouverneme­nt, ndlr].

C’est en partie grâce à cette robe bleue qu’elle peut porter des choses que même moi je n’aurais pas osé porter. Je trouve ça génial.

Vous rigolez aujourd’hui de cet épisode de la robe. Mais à l’époque…

Je me suis cachée. Je me suis dit qu’on n’allait encore parler que de mes fringues ! Après le jeans en Conseil des ministres… Je n’ai pas du tout réagi comme il fallait. J’aurais dû faire ce que m’avait conseillé Michèle Delaunay [alors ministre déléguée aux Personnes âgées, ndlr] : que je lui prête ma robe et qu’elle vienne avec le lendemain à l’Assemblée.

Vous avez vécu au premier plan le sexisme en politique…

Le problème, c’est que j’étais une femme, jeune, écolo, et très cheffe. J’étais cheffe de parti donc je n’avais absolument pas peur du rapport de force. Je me suis faite toute seule. Je n’ai pas été nommée, j’ai gagné mes galons dans le parti où c’était sans doute le plus difficile à faire. Mais voilà, j’avais quatre enfants, des seins, des fesses, on ne peut pas me masculinis­er physiqueme­nt. Ça en faisait disjoncter certains. Mais si j’ai pu avoir cette vie politique, c’est aussi parce que dix, vingt, trente ans avant, des féministes ont bataillé très durement pour nous. Voilà, j’ai participé à cette histoire.

Que vous disent les gens que vous croisez dans la rue maintenant que vous n’êtes plus une élue politique ?

En arrêtant, je pensais que beaucoup me diraient que c’était bien de faire autre chose. Jamais ! Certains me disent que je les ai lâchés et que ce n’est pas sympa. Et la plupart me demandent quand je reviens.

Et vous leur répondez quoi ?

Je leur dis qu’il y a d’autres personnes maintenant. J’ai fait ma part et il fallait des gens nouveaux pour l’écologie.

Vous ne répondez pas que vous faites toujours de la politique mais autrement ?

Si, si. Oxfam a fortifié mon engagement. La dimension internatio­nale, le sérieux du travail, la certitude absolue désormais qu’il y a un chemin qui lie climat et inégalités…

Quel est le pire vice que vous avez pu observer en politique ?

(Elle réfléchit) La corruption, le cynisme.

Vous avez un exemple ?

Les gens qui ne croient pas à ce qu’ils disent, qui ont choisi la gauche parce que c’était plus facile, à ce moment-là, pour avancer dans leur carrière, qui se faisaient acheter… Sur la loi Alur, des assureurs ont proposé un deal. En gros, si je rendais obligatoir­e l’assurance loyers impayés auprès d’eux, j’avais des

articles dithyrambi­ques en retour. Et j’ai évidemment refusé. C’est pour ça que je ne me suis jamais plainte : je savais d’où venaient les crasses. Mais, comme on dit, ce n’est pas la peur qui empêche de dormir, c’est la mauvaise conscience. Et moi, je dors hyper bien.

Vous vivez mieux de ne plus être en politique ?

Non, ce que je vis mieux, c’est de moins être au contact des pénibles (rires). Mais en vrai, je n’ai jamais été une pasionaria, contrairem­ent à ce qu’on a voulu faire croire. J’ai été secrétaire nationale des Verts à une époque où il y avait Dany Cohn-Bendit, José Bové, Eva Joly… Faut avoir une sacrée capacité de compromis.

Y a-t-il une anecdote de votre vie politique que vous n’avez jamais racontée ?

Au tout début du quinquenna­t Hollande, lors des négociatio­ns budgétaire­s, Matignon ne voulait pas séparer les fonctionna­ires rattachés au ministère de l’Ecologie de celui du Logement. Ça leur permettait de faire leurs petites bidouilles et de supprimer des postes sans que ça se sache. J’avais exigé qu’on les sépare. Un jour, mon directeur de cabinet est en réunion interminis­térielle. Il m’appelle : «Je

n’y arrive pas, ils ne veulent pas lâcher.» Je lui

réponds : «Je suis en pyjama chez moi. Dis-leur d’ouvrir les portes de Matignon, je saute dans ma Twingo et j’arrive.» Il me rappelle quinze minutes plus tard. Je ne sais pas si c’est la Twingo ou le pyjama qui a fait pencher la balance, mais on avait obtenu gain de cause.

Vous fonctionni­ez comme ça ?

Oui. Ça a été pareil lors de la loi Alur. La veille du vote, il y a une réunion interminis­térielle. Tout mon cabinet revient et me dit : «C’est bon

Cécile, on a tout. Sauf les yourtes.» Comment ça, sauf les yourtes ? Ils essayent de me convaincre de lâcher : on a gagné les arbitrages sur tout, sauf les yourtes qui sont exclues du système et ne pourront pas être considérée­s comme un habitat permanent. Je ne suis pas d’accord. J’appelle le directeur de cabinet d’Ayrault, Christophe Chantepy : «Je te préviens, s’il n’y a pas les yourtes, je ne viens pas au Conseil des ministres demain.» C’étaient des snobs, ils voulaient juste me faire plier sur un truc parce que les mecs de l’Intérieur n’aiment pas les beatniks et voulaient se faire les yourtes. Je rentre à mon ministère. Chantepy me rappelle et me dit que c’est bon, il y aura les yourtes (sourire).

Avec quel adversaire vous auriez pu partir en vacances ?

Maurice Leroy. C’est tout ce que je ne suis pas. Mais il me souhaite ma fête tous les ans. Ils sont deux à le faire chaque année: ma mère et lui. Celui qui m’a donné les meilleurs conseils, c’est Jean-Louis Borloo. Et celui avec qui j’ai eu la connexion la plus improbable, c’est Patrick Devedjian au moment de la déchéance de nationalit­é. Une convergenc­e inattendue.

En fin de compte, la politique, c’était mieux ou moins bien avant ?

Mais ce n’est jamais mieux avant ! Ça m’énerve quand on dit ça. Si j’avais vécu il y a cent ans, vu mon caractère, j’aurais fini en asile. Ou religieuse et missionnai­re. Ça aurait été le seul moyen d’éviter une vie de femme au foyer dépendante de son mari. Ne serait-ce que pour la place des femmes, ce n’était pas mieux avant.

«J’étais une femme, jeune, écolo, j’avais quatre enfants, des seins, des fesses, on ne peut pas me masculinis­er physiqueme­nt. Ça en faisait disjoncter certains.»

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 ?? Photo Denis Allard ?? Lors du Festival des idées, à La Charité-sur-Loire (Nièvre), le 6 juillet.
Photo Denis Allard Lors du Festival des idées, à La Charité-sur-Loire (Nièvre), le 6 juillet.

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