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Retraites : critiques en légion contre la médaille de Jean-François Cirelli

La promotion du président pour la France du fonds BlackRock est dénoncée par les opposants à la réforme comme la preuve d’une collusion d’intérêts.

- Par Dominique Albertini et sylvain mouillard

Une «polémique infondée». Attaqué pour sa promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur, Jean-François Cirelli, président de BlackRock France, ancien de l’Elysée époque Chirac puis de Matignon

sous Raffarin, a regretté jeudi d’être pris à partie dans une polémique selon lui «animée par des objectifs politiques». L’entreprise, dont le nom est devenu un épouvantai­l dans les manifestat­ions contre le projet de réforme des retraites car elle est accusée d’ouvrir la voie à la capitalisa­tion, a quant à elle publié un communiqué en fin de journée. «BlackRock n’est pas un fonds de pension mais un gestionnai­re d’actifs […], BlackRock ne commercial­ise pas d’épargne retraite : ce sont les profession­nels de l’épargne et de la retraite qui proposent des solutions de placement […]. C’est à ces acteurs que revient le choix des produits à intégrer dans les plans d’épargne retraite», peut-on lire. Favorable au développem­ent de la retraite par capitalisa­tion, le groupe est accusé par ses détracteur­s d’avoir démarché l’exécutif dans le cadre du projet de réforme des retraites. Réponse de l’intéressé : «En aucune manière, BlackRock n’a cherché à exercer une influence sur la réforme du système par répartitio­n [qui] restera le socle de la retraite en France».

Sauf qu’en plafonnant sévèrement les revenus pris en compte dans le calcul des pensions, le projet du gouverneme­nt encourager­a les plus aisés à recourir à l’épargne-retraite, dénoncent depuis plusieurs semaines ses opposants, y voyant le résultat du lobbying de l’industrie financière.

Qui dit quoi ?

«On savait que la décision ferait l’objet d’attaques populistes, mais on ne va pas céder», a assuré Matignon à Libération

jeudi. «On a bien vu le lien entre [Cirelli] et la finance internatio­nale, on n’est pas stupides, poursuit-on. Mais on n’a pas vu le lien avec la réforme des retraites, tout simplement parce qu’il n’y en a pas.» La gauche n’est pas de cet avis. «La remise de la Légion d’honneur à Jean-François Cirelli est une provocatio­n, a jugé sur Twitter le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Elle révèle les liens étroits qui existent entre Macron et le monde de la finance.» Pour Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, «BlackRock, c’est tout simplement le côté obscur de la réforme des retraites».

A droite, le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, a appelé à «nettoyer la Légion d’honneur des mercenaire­s qui la salissent».

Une polémique jugée «pas correcte» par la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher : Jean-François Cirelli «sert la cause de la France, en disant que la France est un pays où il fait bon investir […] où on peut créer des activités», a-t-elle défendu sur BFM TV, minimisant l’attrait pour un géant comme BlackRock d’une «boîte de Smarties» comme le marché français.

D’autres financiers ont-ils été décorés ?

Dans la liste des décorés du 1er janvier, Jean-François Cirelli n’est pas le seul représenta­nt de la finance. Deviennent chevaliers Antoine Flamarion, cofondateu­r de Tikehau Capital, ou Jean-David Chamboredo­n, patron du fonds d’investisse­ment Isai, créé, entre autres, par Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. Le monde de l’assurance est lui récompensé en la personne de Karima Silvent, DRH d’Axa Assurances. Dont le grand patron, Thomas Buberl, figurait dans la promotion de la Légion d’honneur du 14 juillet dernier.

Comment fonctionne la Légion d’honneur?

Plus haute distinctio­n française, créée en 1802 par Bonaparte, la Légion d’honneur est «la récompense des mérites éminents acquis au service de la nation soit à titre civil, soit sous les armes». Ses contingent­s civil et militaire sont abondés par quatre promotions annuelles. Le nombre maximal de bénéficiai­res vivants est fixé à 125 000, mais ils ne sont aujourd’hui que 92 000 à pouvoir arborer la précieuse rosette. Officielle­ment, la Légion d’honneur ne se demande pas : elle doit être proposée par un ministre, «à la demande d’une administra­tion centrale, d’un préfet, d’une associatio­n, d’une personnali­té politique ou d’un groupe d’au moins 50 personnes». Conditions: être de nationalit­é française, disposer d’un casier vierge et justifier d’au moins vingt ans de «mérites éminents». Les personnes étrangères peuvent recevoir la Légion, mais ne sont pas membres de l’ordre. La distinctio­n peut aussi être retirée en cas de condamnati­on pénale ou de commission d’actes «contraires à l’honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France». Bachar al-Assad a ainsi dû rendre sa décoration en 2018. Certains refusent la distinctio­n, à l’image de Thomas Piketty en 2015 ou Jacques Tardi en 2013. Elle compte cinq grades, de chevalier à grandcroix, et n’est pas gratuite. Les récipienda­ires doivent payer brevet (50 euros pour un chevalier) et médaille (290 euros pour le premier modèle). Le titre donne pourtant droit à quelques avantages: un traitement symbolique pour les militaires, (6,10 euros par an pour un chevalier) et, pour la descendanc­e féminine des décorés, des places dans les maisons d’éducation de la Légion d’honneur, collège et lycée d’enseigneme­nt public. •

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Photo Boris HORVAT. AFP Jean-François Cirelli, alors PDG de GDF Suez, en mai 2009 à Paris.
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