Libération

«On assiste à une militarisa­tion du maintien de l’ordre»

Pour l’avocat Raphaël Kempf, l’améliorati­on de la doctrine policière doit notamment passer par le retrait des armes dangereuse­s de type LBD et le retour de la mise à distance.

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ques jours après le saccage de l’Arc de triomphe, le 1er décembre 2018, c’est Christophe Castaner lui-même qui avait milité pour rompre avec la tactique de la «non-confrontat­ion», emblématiq­ue du maintien de l’ordre à la française. Conséquenc­e immédiate de ce choix, des unités plus légères, et non spécialist­es de la canalisati­on des foules, ont été déployées sur le terrain avec pour mission de ne pas rechigner au corps-à-corps. L’usage des armes de force intermédia­ire, notamment les lanceurs de balle de défense, n’a, lui, jamais été remis en question. Enfin, c’est au préfet ultrarépre­ssif Didier Lallement qu’a été confiée la préfecture de police de Paris au lendemain d’une énième manifestat­ion mouvementé­e, le 16 mars. Voilà comment la capitale s’est peu à peu familiaris­ée avec des acronymes qui sentent le gaz (lacrymo): Brav-M (ersatz des «voltigeurs» à moto fatals à Malik Oussekine en 1986), lanceurs cougar, grenades MP7 ou GLI-F4.

«Décomplexi­on»

A force d’incidents ou de drames sans réprimande politique forte, la créature a-t-elle échappé au créateur ? A l’automne, une éminence de la place Beauvau confiait à Libération que les épisodes de casse lors des manifestat­ions de gilets jaunes étaient devenus si intenables politiquem­ent qu’aucune autre solution que la fermeté ne pouvait y être opposée. En d’autres termes, les préfets ont reçu un blanc-seing, au risque d’une atteinte certaine au droit de manifester. «Beauvau est clairement pris à son propre piège. Quand on engage la stratégie de l’escalade, un jour ou l’autre, on se brûle les ailes, observe un commissair­e parisien très critique des méthodes en vigueur. Si des dérapages ou des bavures peuvent s’expliquer par la surmobilis­ation et la fatigue des forces de l’ordre, je crois que l’on évacue totalement du débat la décomplexi­on dont certains font preuve aujourd’hui sur le terrain. Pour être clair : quand vous déconnez, que vos chefs directs vous couvrent, que le ministre continue de vous remercier pour votre travail, et que les syndicats vous plaignent, vous vous sentez pousser des ailes. Or le maintien de l’ordre, ce n’est pas une bataille de rue…»

Ces derniers mois, le ministère de l’Intérieur, parfois raillé par des régimes autocratiq­ues étrangers (lire ci-contre), a essuyé la critique unilatéral­e d’une foultitude d’avocats, d’ONG, mais aussi d’institutio­ns internatio­nales comme l’ONU, le Conseil de l’Europe ou l’Organisati­on pour la sécurité et la coopératio­n en Europe (OSCE). Une pression qui a imposé les violences policières comme un débat de société majeur en France, ce que l’exécutif a aussi dû acter à quelques semaines des élections municipale­s. Hasard – ou pas – du calendrier, Beauvau doit annoncer ces prochains jours un nouveau schéma national du maintien de l’ordre, fruit d’un dialogue entre experts. L’heure d’une désescalad­e factuelle, et plus seulement textuelle ? •

Avocat au barreau de Paris, défenseur de nombreux gilets jaunes et auteur du livre Ennemis d’Etat. Les lois scélérates, des anarchiste­s aux terroriste­s, Raphaël Kempf passe en revue pour Libération la doctrine actuelle du maintien de l’ordre et les changement­s – «désescalad­e», «démilitari­sation» et «déjudiciar­isation» – qu’il faudrait mettre en oeuvre pour en finir avec des violences policières «systémique­s».

Face à la multiplica­tion des dérives policières, l’exécutif semble enfin monter au créneau. Emmanuel Macron a déclaré, mardi matin, attendre «la plus grande déontologi­e» des forces de l’ordre, quand Christophe Castaner rappelait lundi la nécessité d’une «exemplarit­é». Un début d’inflexion ?

Il est certain que si le président de la République et le ministre de l’Intérieur appellent les forces de l’ordre à l’«exemplarit­é» et l’«éthique», c’est qu’ils sous-entendent qu’elles n’ont pas toujours été respectueu­ses de ces principes. C’est la première fois qu’ils le reconnaiss­ent. Mais ce sont des déclaratio­ns tardives, car cela fait plus d’un an que nous avons des preuves sûres et certaines. Au-delà des gilets jaunes, on déplore depuis des années des cas avérés de violences policières : lors de la loi travail en 2016, mais aussi dans les quartiers. Ces propos sont aussi hypocrites parce qu’ils laissent penser que l’exécutif prend la mesure de ces violences, tout en laissant entendre qu’elles ne sont le fait que de brebis galeuses dont il suffirait de se débarrasse­r pour qu’il n’y ait plus de difficulté­s. Or elles ont un caractère systémique : elles relèvent de choix de politiques et de stratégies du maintien de l’ordre, décidés au plus haut sommet de l’Etat par le ministre de l’Intérieur et les préfets. Justement, comment peut-on changer ce système ?

Nous pouvons agir sur trois points : la question de la dotation et de l’usage d’armes comme les LBD 40 ou les GLI-F4 (qui sont classifiée­s armes de guerre), les stratégies du maintien de l’ordre et la réponse judiciaire. Première chose : il faut interdire certaines armes et certaines

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Lors d’une manifestat­ion de gilets jaunes à Paris, le 7 décembre. Photo Stéphane Lagoutte. Myop

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