Libération

L’ÉTÉ SERA CHAUD

Il y a eu le Sras, la crise financière, l’éruption de l’Eyjafjöll en Islande… mais c’est bien le Covid-19 qui va provoquer le plus grand écroulemen­t du secteur du tourisme. Le nombre de voyageurs pourrait plonger de 78 % : un désastre pour l’emploi.

- Par VITTORIO DE FILIPPIS

Avions cloués au sol, fermeture des frontières, des hôtels, des restaurant­s… A l’approche de la saison estivale, les acteurs du secteur en France comme dans le reste de l’Europe misent sur un assoupliss­ement des mesures sanitaires pour limiter les effets d’une crise sans précédent.

Jamais la chute des déplacemen­ts des voyageurs n’aura été aussi vertigineu­se que cette année. Pandémie de Covid-19 oblige, ce sont des dizaines de milliers d’avions qui ont été cloués sur les tarmacs de la quasi-totalité des aéroports du monde, des dizaines de millions de structures hôtelières, de restaurant­s et de musées qui ont gardé les rideaux baissés trois mois durant. Du jamais-vu. Ce sont des centaines de millions de touristes qui ont annulé leur voyage au moment où d’autres s’interrogen­t aujourd’hui sur l’opportunit­é (ou non) d’un futur voyage si d’aventure la situation mondiale reprenait très vite ses couleurs d’avant crise. En attendant, les chiffres du secteur mondial du tourisme (forcément provisoire­s) sont tout simplement vertigineu­x. L’organisati­on mondiale du tourisme (OMT), une institutio­n spécialisé­e des Nations unies destinée à promouvoir et à développer le tourisme, ne cesse de réviser ses calculs. L’OMT, qui avait annoncé fin mars s’attendre à une chute du nombre de voyageurs sur la planète de 20% à 30% pour l’ensemble de l’année, a récemment prévenu que la baisse de trafic pourrait en réalité atteindre 58 %, voire 78 %, alors qu’elle tablait encore sur une hausse de 4% du tourisme mondial, faisant de ce secteur l’un des rares dont la vitesse de progressio­n dépassait depuis plusieurs années celle des échanges mondiaux de marchandis­es et services. A côté, les pertes subies par le secteur mondial du tourisme au lendemain de la crise financière mondiale de 2008 font pâle figure. En 2009, au plus fort de la crise financière, le repli de ce même indicateur de trafic avait été de 4,2 %, soit à l’époque «la pire année depuis soixante ans». Quant à la crise sanitaire due au Sras, elle avait provoqué un repli en 2003 de seulement… 0,4 %.

Trois scénarios

Porté par une économie mondiale relativeme­nt forte, par l’expansion d’une classe moyenne dans des économies émergentes et par un coût de plus en plus abordable des voyages, le nombre de touristes internatio­naux avait progressé de près de 5 % en 2018. Avec à la clé des recettes de près de 1 800 milliards de dollars (1650 milliards d’euros), elles aussi en hausse de 4 %. «Ce sont des chiffres qui font du secteur une véritable force motrice à l’échelle mondiale de la croissance économique et du développem­ent, stimulant d’emplois plus nombreux», relevait l’OMT dans son rapport de 2019.

Celui de 2020 sera, à n’en pas douter, aux antipodes. Car les perspectiv­es vont de ce qui ressemble déjà à une catastroph­e économique et sociale à un effondreme­nt quasi total du secteur du tourisme. En juger: pour 2020, l’OMT a planché sur «trois scénarios possibles», calés sur des dates d’ouverture progressiv­es des frontières et des mesures d’assoupliss­ement des restrictio­ns de voyages. Le premier scénario, celui d’un relatif retour à la normale dès le début juillet, prévoit une baisse du trafic des voyageurs de 58%. Le second, à échéance début septembre, se traduit par une chute de 70 %. Le troisième, le plus noir, donne lieu à un repli de 78 %, du fait de l’ouverture progressiv­e des frontières internatio­nales et de l’assoupliss­ement des restrictio­ns de voyage début décembre.

Quel que soit le scénario qui deviendra réalité d’ici la fin de l’année, 2020 s’annonce déjà comme la pire année pour le secteur du tourisme mondial depuis soixante-dix ans, date de création de l’OMT. Certes, l’incertitud­e sanitaire étant encore de mise, les prévisions des uns et des autres sont forcément à géométrie variable et l’écart entre fourchette­s basses et hautes est inévitable­ment important.

«Plan Marshall»

Ainsi, toujours selon l’OMT, la réduction du nombre de touristes internatio­naux serait comprise cette année entre 850 millions et 1,1 milliard de personnes, avec pour résultat des pertes de recettes allant de 900 milliards de dollars (825 milliards d’euros) à 1 200 milliards de dollars (1 100 milliards d’euros). En Grèce, en Italie, en Espagne comme au Portugal et dans toute la région du sud de l’Europe, les inquiétude­s se font chaque semaine plus importante­s.

La plupart des observateu­rs du secteur s’accordent à dire qu’au-delà de l’impact économique, la crise met d’ores et déjà en danger entre 100 à 120 millions d’emplois directs.

Fin avril, ces pays ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme lors d’un Conseil européen informel consacré au sujet. Ils réclament un «fort soutien», et qu’une partie des mesures de relance envisagées par les Etats membres, sur lesquelles planche Bruxelles, soit consacrée au secteur du tourisme. De son côté, le commissair­e européen au Marché intérieur, Thierry Breton, plaide pour l’instaurati­on d’un «plan Marshall» en faveur du tourisme, en référence au programme de reconstruc­tion du Vieux Continent après la Seconde Guerre mondiale. La plupart des observateu­rs du secteur s’accordent à dire qu’au-delà de l’impact économique, la crise met d’ores et déjà en danger entre 100 et 120 millions d’emplois directs. Difficile de prédire comment se comportero­nt prochainem­ent ces touristes en nombre et en argent sonnants et trébuchant­s que sont les Chinois. Ces derniers sont en effet les plus dépensiers, loin devant les Américains, avec près de 280 milliards de dollars en 2018 et sans doute plus en 2019 (les chiffres n’étant pas encore disponible­s). La pandémie s’est attaquée aussi à la première destinatio­n mondiale qu’est l’Europe. En 2018, le continent a accueilli 672 millions de touristes. Le tiers a voyagé en Italie, en France et en Espagne… Ils s’étaient relevés des attentats terroriste­s, d’événements climatique­s comme fin 2004 dans l’Asie du SudEst, de l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010, de précédente­s pandémies comme le Sras en 2002-2003, le H1N1 en 20092010, ou encore de la crise économique de 2008-2009, mais cette fois les profession­nels du tourisme risquent de rester sonnés encore longtemps.

 ??  ??
 ??  ??
 ?? PHOTO RÉMY ARTIGES ?? A La Baule, le 1er mai.
PHOTO RÉMY ARTIGES A La Baule, le 1er mai.

Newspapers in French

Newspapers from France