Libération

L’Espagne frappée sur un secteur essentiel

Déjà parmi les plus touchés par l’épidémie en Europe, le pays se prépare à l’effondreme­nt d’un pilier de son économie.

- FRANÇOIS MUSSEAU Correspond­ant à Madrid

Membre du sélect club des cinq principale­s puissances touristiqu­es du monde (avec la France, la Chine, les Etats-Unis et l’Italie), deuxième pays le plus visité l’an dernier avec 83,7 millions de visiteurs étrangers qui ont dépensé la bagatelle de 92 milliards d’euros, l’Espagne tremble : le secteur touristiqu­e est, chaque année davantage, sa poule aux oeufs d’or, qui assure plus de 12 % de son PIB et 13 % de ses emplois directs. «Ce qui est notre moteur économique essentiel, analyse Santiago Carbó, de la fondation Funcas, est devenu notre condamnati­on pour longtemps.» Et de rappeler que l’activité touristiqu­e est précisémen­t ce qui avait le plus permis à l’Espagne de se redresser après la crise de 2008, lorsque le pays était au bord de la banquerout­e et qu’il avait reçu une colossale aide internatio­nale pour sauver ses banques. Alors que la saison est d’ores et déjà considérée comme perdue par les opérateurs et les hôteliers, une récente décision du gouverneme­nt de Pedro Sánchez a eu l’effet d’une douche froide supplément­aire : depuis le 15 mai, toute personne venue de l’étranger (y compris des résidents espagnols ou des ressortiss­ants de l’espace Schengen) qui entre en Espagne doit immédiatem­ent observer quatorze jours de quarantain­e, et ses sorties autorisées doivent se limiter, avec le masque de rigueur, à se rendre à la pharmacie ou au supermarch­é le plus proche.

PME. La mesure a provoqué la colère d’Emmanuel Macron, qui s’est empressé de répondre à l’Espagne selon le principe de la réciprocit­é. Selon les profession­nels du secteur, elle risque fort de dissuader de nombreux candidats. Notamment les Britanniqu­es et les Allemands, dont les autorités respective­s ne sont guère enclines à les laisser aller se dorer cet été sur les plages espagnoles, étant donné que le pays est un des plus touchés par le virus. «De notre côté, a insisté le ministre espagnol de la Santé, Salvador Illa, nous seront très précaution­neux. Nous n’avons aucunement l’intention de voir les efforts de deux mois réduits à néant par des infections venues d’ailleurs.» Parmi les nations touristiqu­es, l’Espagne souffre particuliè­rement, étant donné que son modèle économique s’arrime sur le tourisme de masse. Mais pas seulement. «Le châtiment en Espagne va être tout spécialeme­nt brutal, de par sa vulnérabil­ité spécifique», a assuré à la mi-mai Poul Thomsen, responsabl­e de l’Europe pour le Fonds monétaire internatio­nal. Selon ce dernier, le facteur aggravant tient au fait que le secteur est essentiell­ement composé de petites et moyennes entreprise­s. «Or les petites entités sont dépourvues des moyens financiers pour supporter des chocs significat­ifs.» Selon Exceltur, lobby regroupant en Espagne les principaux acteurs touristiqu­es, on compte 231653 PME, contre seulement 659 entreprise­s comptant plus de 200 salariés.

Passé le cauchemar de la semaine de Pâques, où les pertes ont été évaluées à 18 milliards d’euros, les prédiction­s sont très mauvaises pour les semaines et mois à venir. Les entreprene­urs du secteur prévoient pour cette année des pertes cumulées de l’ordre de 125 milliards d’euros et une chute de l’activité de plus de 80 %. Les plus touchés : la Catalogne, l’Andalousie, Madrid. Ainsi que les Canaries, où les îles du Hierro et la Gomera, pleinement déconfinée­s et où le tourisme assure un quart des emplois, attendent en vain des visiteurs.

«Plan de choc». La situation est également dramatique aux Baléares, où les pertes pourraient représente­r 95 % de l’activité en 2019. «C’est une situation inédite, exceptionn­elle, se désole Javier Vich, président des hôteliers de Palma de Majorque. Toute l’activité est à l’arrêt, alors que nous en vivons. Cela génère une énorme incertitud­e. Au mieux, on peut espérer une relative récupérati­on en 2021, et une normalisat­ion en 2022.» José Luis Zoreda, viceprésid­ent d’Exceltur – fédération des grandes entreprise­s du secteur touristiqu­e espagnol – a réclamé au gouverneme­nt un «plan choc» et précisé que, même si les Espagnols optaient massivemen­t cet été pour un tourisme national, «cela permettrai­t à peine de compenser le désastre».

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