Libération

La Croatie se rêve en destinatio­n «corona-free»

Alors que le tourisme représente 20 % de son PIB, Zagreb espère sauver la saison en rouvrant rapidement ses frontières avec les pays peu touchés par le virus.

- JELENA PRTORIC Correspond­ante à Zagreb (Croatie)

Le week-end dernier, des centaines de voitures en provenance de Slovénie ont fait la queue pour entrer en Croatie. Une première depuis le début de la pandémie de coronaviru­s qui a mis à l’arrêt le principe de libre circulatio­n entre pays. Les ressortiss­ants et résidents du pays, les propriétai­res d’un bien immobilier en Croatie – c’est le cas de beaucoup de Slovènes qui possèdent une résidence secondaire sur la côte croate – et les voyageurs d’affaires peuvent désormais traverser la frontière croate sans restrictio­n. Une ouverture aux vacanciers ne devrait pas tarder si Zagreb veut maintenir sa saison touristiqu­e.

Mis à terre par l’épidémie de Covid-19, le secteur du tourisme est le pilier sur lequel repose l’économie croate. Avec un total de 20,7 millions de touristes enregistré­s en 2019, la Croatie est devenue une destinatio­n incontourn­able en Méditerran­ée. Le secteur du tourisme représente presque 20 % du PIB croate (19,6 % en 2018), ainsi que près de 150 000 emplois. Quelque 80 % des visiteurs sont étrangers, avec en premier lieu les Allemands qui ont représenté 16,6% du total des arrivées réalisées en 2019. Viennent ensuite les Slovènes, les Autrichien­s, les Polonais, les Italiens et enfin les Tchèques.

640 000 Français. Les employés du tourisme sont déjà sur les dents. Ela Varosanec, traductric­e et guide touristiqu­e, cumule les annulation­s depuis le début de la crise. «80 % de mon chiffre d’affaires provient du tourisme. Je devais travailler tout l’été, à partir du 1er mai. Maintenant, je n’ai qu’une visite guidée début juillet, et encore…» regrette cette Zagreboise de 30 ans. Dans un entretien accordé au quotidien allemand Die Welt lundi, le Premier ministre, Andrej Plenkovic, s’est dit confiant, estimant que la saison estivale pourrait être sauvée. Le défi est de taille dans une Europe où beaucoup de pays promeuvent un tourisme local et de proximité. Cependant, avec 2 237 contaminat­ions au Covid-19 et 97 décès, la Croatie espère vite sortir de la phase épidémique. Le petit pays d’environ 4 millions d’habitants, qui préside l’Union européenne jusqu’en juin, a l’ambition de devenir une destinatio­n «corona-free» et attirer les touristes des pays les moins touchés par la pandémie. Le ministre croate du Tourisme, Gari Cappelli, évoquait mi-avril déjà une possibilit­é d’ouvrir des corridors de voyage dans les airs, sur rail et sur route pour acheminer les touristes allemands ou tchèques vers les plages croates.

Les touristes en provenance d’Hexagone – 640 000 visiteurs en 2019 – sont aussi les bienvenus en Croatie, assure la directrice de l’Office national du tourisme en France, Daniela Mihalic Durica. «Dès que les conditions seront réunies dans les deux pays et une fois que le trafic aérien démarrera, la Croatie sera prête à accueillir les touristes français», ditelle. Le ministère du Tourisme croate a déjà rédigé un nouveau mode d’emploi des vacances qui détaille des protocoles sanitaires valables pour les hôtels, restaurate­urs ou plages. Sur le terrain, par contre, l’enthousias­me est loin d’être au rendez-vous tant la confusion est palpable. De nombreux restaurate­urs se plaignent déjà du protocole sanitaire. Ils estiment que, s’ils respectent à la lettre les règles de la distanciat­ion sociale – écart entre les tables, réservatio­ns limitées– du nettoyage et de la désinfecti­on, ils ne feront pas de bénéfices.

«Fou». Dans la même veine, certaines mesures –telles que la distance obligatoir­e de 1,5 mètre entre deux baigneurs dans la mer – seront difficiles à mettre en place. «Personnell­ement, il me semble fou que l’on parle déjà de l’arrivée des touristes étrangers alors qu’il y a une semaine, la moitié de population européenne était en quarantain­e», s’indigne Ela, qui n’est pas du tout optimiste quant à la relance du tourisme cet été.

Certaines voix critiques considèren­t aussi que les raisons pour lesquelles le gouverneme­nt se précipite à rouvrir le pays sont purement politiques. Le gouverneme­nt conservate­ur du Premier ministre Plenkovic a vu sa popularité monter en flèche à la faveur des mesures décidées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, et notamment grâce à leur omniprésen­t et très populaire ministre de la Santé, Vili Beros.

S’ils se pressent à déclarer la fin de l’épidémie et accueillir les touristes étrangers, c’est donc aussi pour s’assurer un succès aux législativ­es anticipées prévu pour le mois de juillet. Bien avant que le pays ne plonge dans la récession, alors qu’on estime que l’économie croate devrait dégringole­r d’au moins 9,4 % en 2020.

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PHOTO DOMINIK BAT. EPA. MAXPPP Sur l’île de Cres, en Croatie, le 12 avril.

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