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Pour mater Hongkong, Pékin fait sa loi

- Par zhifan Liu Correspond­ant à Pékin

Sous couvert de vouloir garantir la sécurité de la région semiautono­me, le régime a présenté vendredi un texte qui lui permettra de poursuivre dissidents et mouvements pro-démocratie, qui manifesten­t depuis un an pour dénoncer la mainmise du pouvoir chinois.

La patience de Pékin a atteint ses limites. Vendredi, lors de l’inaugurati­on de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP), le pouvoir chinois a présenté une loi relative à la sécurité nationale à Hongkong, représenta­nt le plus grand tour de force de Pékin sur l’ancienne colonie britanniqu­e. Dans le détail, cette loi interdit tout acte de «subversion, de sédition, de terrorisme et d’ingérence par des forces étrangères». C’est peu ou prou le champ lexical utilisé par le régime communiste pour désigner les manifestat­ions pro-démocratie qui ont secoué Hongkong l’an dernier.

«Manière forte»

Pékin voit derrière ce mouvement de protestati­on la main des EtatsUnis. «La violence de l’année dernière et l’interventi­on étrangère croissante ont déclenché cette décision», a déclaré jeudi soir Luo Huining, le directeur du bureau de liaison du gouverneme­nt chinois à Hongkong devant des membres de l’ANP. La vague de contestati­on dans la région semi-autonome, déclenchée par une loi d’extraditio­n vers la Chine, s’était muée en mouvement contre l’influence grandissan­te de la Chine communiste, constituan­t un défi politique majeur pour le président Xi Jinping. «Nous établirons des systèmes juridiques et des mécanismes d’applicatio­n solides pour garantir la sécurité nationale dans les deux régions administra­tives spéciales [Hongkong et Macao, ndlr] et veillerons à ce que les gouverneme­nts des deux régions s’acquittent de leurs responsabi­lités constituti­onnelles», a lancé jeudi le Premier ministre chinois, Li Keqiang, devant une assemblée composée d’environ 3 000 délégués. Contrairem­ent aux années précédente­s, il n’a fait aucune mention de la loi fondamenta­le, la mini-constituti­on qui régit l’ancienne colonie britanniqu­e. Depuis la rétrocessi­on de Hongkong à la Chine en 1997, Pékin entendait laisser le gouverneme­nt local entériner par lui-même une loi de sécurité nationale. Mais les dirigeants hongkongai­s se sont heurtés à la résistance des opposants pro-démocratie, comme en 2003 quand un demi-million de manifestan­ts étaient descendus dans les rues, forçant l’exécutif à retirer le projet, suspendu depuis. «Avec cette loi, le Parti communiste chinois emploie la manière forte en contournan­t le principe “d’un pays, deux systèmes” dans lequel les dirigeants ne croient plus», explique Wu Qiang, politologu­e basé à Pékin. Faisant fi de cette doctrine, qui accorde à Hongkong des libertés publiques inconnues en Chine continenta­le, le pouvoir communiste devrait intégrer le projet de loi dans l’annexe III de la mini-constituti­on qui couvre les domaines de la défense et de la diplomatie. «Il y a des doutes sur la légalité de cette manoeuvre, mais l’Assemblée nationale populaire montre clairement qu’elle n’a pas l’intention de laisser la moindre place au débat sur ce sujet», confirme Sophie Richardson, de Human Rights Watch China.

Voix dissonante­s

Au centre des préoccupat­ions, l’article 4 indique que «le cas échéant, les organes de sécurité nationale compétents du gouverneme­nt populaire central créeront des agences au sein de la région administra­tive spéciale de Hongkong pour s’acquitter des fonctions pertinente­s de sauvegarde de la sécurité nationale conforméme­nt à la loi». Un blanc-seing pour les forces chinoises sur le territoire semi-autonome. En 2015, la Chine s’est dotée de sa propre loi de sécurité nationale et l’utilise à dessein pour réduire au silence les voix dissonante­s. «Sous l’égide de cette loi, la Chine poursuit toute forme d’expression pacifiste alors même que ce principe est protégé par la justice chinoise. Pékin entend imposer cette loi arbitraire à Hongkong, et c’est très inquiétant», s’alarme Sophie Richardson. La liste de dissidents tombés sous le coup de cette loi est longue, allant du Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison pour incitation à «la subversion du pouvoir de l’Etat» et décédé en captivité, à l’intellectu­el ouïgour Ilham Tohti, emprisonné à vie pour «séparatism­e».

Le nouveau projet de loi devrait être examiné en début de semaine prochaine, puis soumis à un vote le 28 mai, dernier jour de session du Parlement chinois, avant de passer devant le comité permanent de l’ANP, le mois prochain. A quelques mois des élections législativ­es hongkongai­ses en septembre, cette manoeuvre pourrait attiser encore plus les tensions entre Pékin et Washington. Jeudi soir, le président Donald Trump a fait savoir que les Etats-Unis pourraient répondre «de manière très forte». «Nous exhortons Pékin à honorer ses engagement­s et obligation­s» pour «préserver le statut spécial de Hongkong dans le commerce internatio­nal», a renchéri le départemen­t d’Etat américain. Sous l’égide d’une loi promulguée l’an dernier, les Etats-Unis ont jusqu’à la fin du mois pour évaluer l’autonomie de l’archipel. Ils pourraient remettre en question le statut spécial de Hongkong qui lui permet d’être exempté de droits de douane punitifs dans le cadre de la guerre commercial­e. A terme, c’est le statut de place mondiale financière de la région qui pourrait être menacé. Jeudi, la Bourse hongkongai­se a chuté de 5,6 % en clôture. •

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Photo Anthony Wallace. AFP Des législateu­rs prodémocra­tie au Conseil législatif de Hongkong, vendredi.

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