Libération

«La censure va frapper l’opposition et tous les Hongkongai­s»

Le territoire redoute le vote de la loi chinoise de sécurité nationale, qui pourrait annihiler ses libertés et son statut d’exception «un pays, deux systèmes».

- Anne-Sophie Labadie Correspond­ante à Hongkong

«C’est le jour le plus triste de l’histoire de Hongkong, il confirme la destructio­n du principe “un pays, deux systèmes”», lâche la députée d’opposition Tanya Chan, le ton grave, la mine fermée. A son image, le camp des prodémocra­tie accusait vendredi le coup porté par Pékin. Eux qui, il y a tout juste un an, étaient parvenus à mobiliser plus d’un million de Hongkongai­s dans les rues pour protester contre la mainmise du régime central craignent maintenant d’être impuissant­s. En 2019, ils avaient infligé un revers cinglant aux autorités en arrachant le retrait du projet de loi sur les extraditio­ns vers la Chine. Cette fois, Pékin s’apprête à contourner le Parlement local et à imposer une loi relative à la sécurité nationale. Un piège redoutable en pleine pandémie, qui pourrait signer l’arrêt de mort des libertés et du système judiciaire de Hongkong, uniques par rapport au reste de la Chine, mais aussi de son mouvement démocratiq­ue.

«Terreur blanche»

«L’applicatio­n en Chine de la loi de sécurité nationale est tellement vaste que n’importe quel aspect de la vie quotidienn­e peut être touché, explique Tanya Chan. La terreur blanche va s’appliquer ici et la censure va frapper l’opposition et tous les Hongkongai­s.» Anticipant l’arrivée de la «grande muraille numérique», en vigueur en Chine continenta­le mais pas à Hongkong où l’informatio­n circule sans entraves, les publicités pour les

VPN (réseaux virtuels privés qui permettent un accès non censuré à Internet) inondent les réseaux sociaux depuis jeudi.

Chez les Hongkongai­s, l’inquiétude grandit. Sans avoir les détails de la loi, une partie d’entre eux sont convaincus que le texte va sonner le glas des libertés de la presse, d’expression, de manifester et de se syndiquer, garanties dans l’article 27 de la Loi fondamenta­le alors qu’elles sont inconnues ou bafouées de l’autre côté de la frontière. «Le gouverneme­nt communiste pourra arrêter les dirigeants religieux sous prétexte que la religion est une arme contre lui, comme il le fait en Chine continenta­le», redoute Tak Chi Tam, militant prodémocra­tie et chrétien.

«La vie au quotidien ne sera peut-être affectée que de manière minime, mais il y aura toujours au-dessus de ma tête cette épée de Damoclès qui m’empêchera de discuter librement», souffle Cécile, Hongkongai­se non militante. «Si une autre pandémie survient et que je crois franchemen­t que la Chine est responsabl­e, je ne pourrai pas le dire, parce que je ne veux pas que mon fils grandisse sans sa mère, raconte-t-elle. On ne saura pas ce qui sera sur leur liste des mots censurés et on courra le risque d’être blacklisté, surveillé ou mis sur écoute à la moindre évocation des Etats-Unis, du Japon ou de tout autre acteur internatio­nal qui déplaît à Pékin.»

La Constituti­on locale bafouée

Outre les dissidents, les ingérences étrangères sont en effet dans le collimateu­r des autorités chinoises. Un article avait été introduit avant 1997 dans le projet de Loi fondamenta­le – les négociateu­rs britanniqu­es n’avaient pu s’y opposer – à l’initiative des dirigeants chinois, obnubilés par la possibilit­é que Hongkong devienne un jour une plateforme subversive contre le régime central. L’article 23 interdit la «trahison», «la sécession», «la subversion à l’encontre du gouverneme­nt central», «le vol des secrets d’Etat» ainsi que «les relations des groupes locaux et des partis ou organisati­ons étrangères». Pékin entend aujourd’hui imposer son applicatio­n, au risque d’anéantir le statut de centre financier internatio­nal de Hongkong.

Des centaines d’entreprise­s étrangères sont installées dans la région administra­tive spéciale, 278 compagnies américaine­s et 96 françaises y ont basé leur siège régional, confiantes dans l’Etat de droit local et dans le haut degré d’autonomie accordé au territoire jusqu’en 2047. Mais cette confiance se dégrade au fil des ans. En avril par exemple, l’agence de notation Fitch a abaissé pour la deuxième fois en moins d’un an la note de crédit de Hongkong en raison des «liens croissants de l’ex-colonie avec la Chine continenta­le». «Pékin profite de la pandémie pour asseoir son contrôle au point de mettre en jeu le statut internatio­nal de Hongkong, pariant sur le fait que Trump ne dégainera pas avant les élections» aux Etats-Unis, affirme Clara Cheung, élue locale.

Pékin met aussi en péril la confiance accordée dans le système judiciaire et légal, qui, selon l’opposition, va exploser. «Il sera extrêmemen­t difficile, voire impossible, aux tribunaux hongkongai­s d’avoir une interpréta­tion différente de la loi que celle dictée par le Congrès national du Parti communiste chinois», se désole la députée prodémocra­tie Tanya Chan. Pire, Pékin prévoit d’installer à Hongkong même un bureau pour s’assurer de la bonne applicatio­n de la loi, ce qui bafouerait la Constituti­on locale.

Face à cet affront, «il est très compliqué de lancer la moindre action» à cause de la pandémie, reconnaît le Front civil des droits de l’homme, organisate­ur des manifestat­ions monstres de 2019, mais «une opération» se prépare. Un appel à manifester a par ailleurs été lancé pour dimanche, mais personne ne sait s’il sera suivi et si la marche restera pacifiste.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France