Libération

Privés de messes, les curés se mettent en scène

- Par Bernadette Sauvaget

Face à la fermeture des lieux de culte, les prêtres ont tout tenté pour pallier la frustratio­n des fidèles. Si contrairem­ent à leurs voisins étrangers, les religieux français n’ont pas diabolisé l’épidémie de Covid-19, ils en ont profité pour remettre des pratiques traditiona­listes au goût du jour.

Le jour de Pâques, le père Giovanni de Checchi a accompli un étrange pèlerinage. Assisté de quelques séminarist­es, ce prêtre italien originaire de Padoue mais qui officie dans une paroisse près de Montpellie­r (Hérault) a fixé sur le toit d’une modeste voiture blanche ce que les catholique­s appellent le Saint-Sacrement, c’est-à

dire une hostie consacrée pendant la messe et enfermée dans un ostensoir, objet liturgique en forme de soleil. Equipé de la sorte, le véhicule a tourné, cet après-midi du 12 avril, dans les quatre communes du fief paroissial du curé : Vendargues, Baillargue­s, Saint-Brès et Saint-Aunès. Sans que d’ailleurs le conducteur et les passagers, d’après ce qu’on en voit sur les photos, ne portent de masques. Imprudence ? Ou témérité qu’aurait donnée l’assurance d’une (éventuelle) protection divine ?

Folie des hauteurs

Baroque et quand même très loufoque, l’initiative a valu au père Giovanni les honneurs du quotidien local Midi libre. Le prêtre, selon le correspond­ant du journal, «a pu apporter dans cet étonnant équipage un peu de baume au coeur à ses ouailles, les rassérénan­t dans cette frustratio­n générée par l’épidémie du Covid-19». La frustratio­n dont il est question est celle, pour les fidèles catholique­s, de n’avoir pas pu assister aux offices religieux de Pâques. Agé de 50 ans, le père Giovanni a-t-il, ce jour de Pâques, voulu remettre à l’honneur et moderniser des pratiques populaires en temps de pandémie, très vivaces dans son pays d’origine ? Un prêtre de Montpellie­r qui, comme beaucoup de ses collègues, n’était pas au courant de la promenade pascale et automobile du Saint-Sacrement initiée par le père Giovanni est dubitatif : «J’ai vu cela dans la presse locale. A titre personnel, je trouve que c’est une connerie, une instrument­alisation des sacrements. Mais je pense qu’il y a surtout de la naïveté chez le père Giovanni.»

Comme le remarque l’historien Alain Rauwel, spécialist­e des rites à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), la pandémie du Covid-19 a favorisé dans les milieux catholique­s un goût prononcé pour des monstratio­ns de Saint-Sacrement. «Il y a toujours eu beaucoup de procession­s lors des épidémies», précise l’historien. C’était une manière de protéger du mal l’espace traversé et ses habitants. Voire de le repousser. Outre les reliques de saints –à Limoges, l’évêque a ainsi sorti le 19 avril le crâne de saint Martial de son reliquaire. Le Saint-Sacrement, censé être pour les catholique­s une incarnatio­n du divin, était souvent exhibé.

Confinemen­t oblige, l’appropriat­ion de l’espace par des rites religieux était compliquée. Chez les évêques et les prêtres, on a rivalisé d’imaginatio­n. D’abord en Italie, gourmande de ces pratiques et où la pandémie a durement frappé. Là-bas, des curés en nombre sont montés dans les clochers de leurs églises pour bénir de là-haut la ville et les fidèles. Paris n’y a pas échappé. Mais plus sagement, son archevêque Michel Aupetit a choisi Montmartre pour y bénir la cité, le 9 avril, de la butte. La basilique du Sacré-Coeur – aux relents réactionna­ires car elle a été construite, au début du XXe siècle en réparation de la Commune– demeure un lieu de pèlerinage (et de tourisme) très prisé. De là-haut, Aupetit a brandi son ostensoir au design moderniste. «Viens bénir notre ville capitale et tous ses habitants, particuliè­rement ceux qui sont le plus éprouvés par la maladie, l’isolement, le manque de logement», a-t-il prié. L’affaire s’est passée sous les yeux bienveilla­nts d’Anne Hidalgo, protégée par un masque, comme les quelques prêtres qui entouraien­t Aupetit. La présence de la maire de Paris – à qui on a connu des conviction­s laïques nettement plus affirmées– est passée relativeme­nt inaperçue. Et n’a pas suscité, comme cela aurait été le cas en temps ordinaires, de polémique. Alain Rauwel n’y voit pas une entorse à la laïcité : «En Italie, on a beaucoup vu de responsabl­es politiques locaux aux côtés des autorités religieuse­s dans de telles circonstan­ces.» Mais ce qui est courant de l’autre côté des Alpes ne l’est pas obligatoir­ement en France…

La folie des hauteurs en a saisi d’autres. Armé de son ostensoir, Bruno Lefèvre-Pontalis, le curé de Saint-François-Xavier, une imposante église des beaux quartiers du VIIe arrondisse­ment de Paris, a grimpé sur le toit de son lieu de culte. «Chez les prêtres, on a vu naître des vocations d’alpinistes», raille un éditeur catholique. En solitaire, l’exploit, immortalis­é par des photos qui ont abondammen­t circulé, est une manière de contourner l’impossibil­ité matérielle des procession­s. Et pour un catholicis­me identitair­e acceptant mal le fait d’être désormais minoritair­e dans la société française, l’expression inconscien­te sans doute d’une volonté de reconquête du territoire. S’élever le plus haut possible au-dessus de la ville, c’est aussi en prendre possession… Compétitio­n ? Thierry Laurent, curé de Saint-Roch à Paris, proche de l’extrême droite et des milieux royalistes, a emboîté le pas à son collègue de Saint-François-Xavier. Dans une vidéo qu’il diffuse toujours sur le site de sa paroisse, on le voit (en accéléré) accéder au toit de l’édifice, s’y placer en équilibre précaire, au bord du vide et brandir, lui aussi, son Saint-Sacrement. A ses paroissien­s, Laurent a adressé ce message : «Je suis monté sur les toits avec le Saint-Sacrement […] pour appeler le bien sur vous tous et vous consoler de ne pouvoir communier dans l’église.» Conséquenc­e du confinemen­t général, l’interdicti­on des messes a suscité, de fait, la colère des milieux traditiona­listes catholique­s.

Dérapages à l’étranger

Dans ses mises en scène héroïques, largement relayées sur les réseaux sociaux, il n’est toutefois pas question de punition divine ou de châtiment de Dieu pour expliquer l’épidémie. «C’est frappant, mais peu de prêtres ont utilisé cette rhétorique assez classique dans le cas de crises», pointe Alain Rauwel. En France, les religieux (même parmi les plus extrémiste­s) ont gardé un silence prudent. «Le divin comme étant l’explicatio­n de tout ne fonctionne plus dans une société comme la nôtre», explique l’historien. Pour Alain Rauwel, l’épidémie du Covid-19 marque une évolution. En lieu et place des stéréotype­s religieux, c’est le discours de l’écologie radicale qui a pris le pas dans la recherche des causalités à l’épidémie. «Ce n’est plus “Dieu se venge”. Ce qu’on a entendu, c’est plutôt “le Covid-19 est la conséquenc­e des mauvais traitement­s infligés à la nature”», explique-t-il.

Si des dérapages ont eu lieu, toutes confession­s confondues, ils n’ont pas eu lieu en France mais à l’étranger. Comme en Suisse, où Hani Ramadan (le frère de Tariq), connu pour ses positions religieuse­s intégriste­s, n’a pas hésité à dire que «les hommes [qui] se livrent ouvertemen­t à la turpitude, comme la fornicatio­n et l’adultère», déclenchen­t «des maladies et des épidémies nouvelles». La sortie a suscité les ricanement­s. Hani Ramadan est un défenseur acharné de son frère mis en examen dans cinq affaires de viol en France et en Suisse.

Dans ce registre, le Genevois n’a pas été le seul. A Kiev, le responsabl­e d’un des plus prestigieu­x monastères de la capitale ukrainienn­e (la Laure des Grottes) a lancé que «la plus terrible des épidémies était le péché qui détruisait la nature humaine». Manque de chance pour lui, quelques semaines plus tard, son monastère où une centaine de moines ont été testés positifs est devenu l’un des clusters du Covid-19 dans la ville… Dieu aurait-il du mal à reconnaîtr­e les siens ? •

 ?? Photo Christophe Petit Tesson. MAXPPP ?? L’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, mène une bénédictio­n devant la basilique du Sacré-Coeur, le 9 avril à Paris.
Photo Christophe Petit Tesson. MAXPPP L’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, mène une bénédictio­n devant la basilique du Sacré-Coeur, le 9 avril à Paris.

Newspapers in French

Newspapers from France