Libération

Série / «Tales From the Loop», langueur d’avance

Singulière par son rythme et à l’esthétique lunaire, la fiction SF, adaptée des peintures de Simon Stålenhag, incite à la contemplat­ion et au spleen mais déçoit par son propos trop affecté.

- Marius Chapuis

Puisque la fiction est encore ce qui se recycle le plus facilement, Tales From the Loop est elle aussi une adaptation. A ceci près que cette série ne ruisselle pas d’un roman, d’un film ou d’une bande dessinée, mais de peintures. Autres codes, autres façons de dire. Même si l’ultraréali­sme ambigu de Simon Stålenhag se prête plutôt bien à ce type de glissement, dans la mesure où ses panoramas numériques empruntent à un imaginaire SF collectif en composant des sortes de fan art détraqués, car privés de totem originel, en asseyant des vestiges de technologi­es futuristes dans des paysages ruraux sans les perturber. Un équilibre lunaire qui illumine le Midwest tamisé de Tales From the Loop, où l’horizontal­ité infinie d’un champ de blé est interrompu­e par un robot, oublié là comme une balançoire dévorée par la mousse. Posés dans une forêt ou un jardin, les appareils gisent partout mais semblent transparen­ts, aussi triviaux que n’importe quel équipement ménager. Le banal et le merveilleu­x enveloppés ensemble.

Fluidité temporelle, échange de corps, créature de Frankenste­in… Tales From the Loop manie des banalités de science-fiction tout en nous expliquant qu’il est «inutile d’en faire tout un mystère». Parce qu’on ne saura jamais grandchose sur ce centre de recherche aux faux airs de QG régional d’une agence spatiale soviétique qui semble unir tous ces événements. Parce qu’il est davantage question de regarder des vies précipitée­s par cette soudaine instabilit­é que de résoudre une énigme. Parce que la série, tout en langueur, vaut surtout pour ces moments. Des instants de stase ou d’élévation.

Le vertige d’une scène d’amour d’un couple d’ados au milieu d’une foule pétrifiée. La beauté grave et ridicule d’un père de famille lessivé qui fait le pied de grue devant sa maison pour dissuader un rôdeur avec, en guise de batte de baseball, un robot éboueur dont les mouvements sont calés sur les siens. On n’est pas étonné une seconde de découvrir que le créateur de la série, Nathaniel Halpern, est passé par la salle d’écriture de la psychédéli­que Legion (après The Killing), déjà riche en transports élégiaques. Mise en scène par une flopée de briscards de la télé et quelques cinédevenu astes plus ou moins cotés – Andrew Stanton (Wall-E), Ti West (The House of the Devil), Jodie Foster –, Tales From the Loop est bien plus sage et rangée, mais ose tout de même quelque chose d’assez rare : une SF qui, sans être dépourvue de drames, refuse de se complaire dans le sinistre.

La structure même de la série est séduisante par son élasticité. On la prend pour une anthologie tressée autour d’une communauté, et la voilà qui tire des fils narratifs, fragiles d’abord, puis plus assumés. Des arbres généalogiq­ues émergent. Un spleen en fait résonner un autre. Un détail se charge d’un sens inédit, comme ce compteur électrique qui devient le baromètre de l’état d’une famille. Réduit à une sorte d’écho lointain, le fantastiqu­e n’est qu’un déclencheu­r, un accélérate­ur de passions. Et c’est peut-être là où la série pèche, s’en remettant entièremen­t aux émotions pour parler de la peur de l’autre, nous dire que tout n’est pas plus vert chez le voisin, évoquer la fugacité des choses de la vie. Souvent juste, sa délicatess­e trébuche parfois en affectatio­n flasque, notamment dans ses thèmes musicaux au piano tire-larmes (Philip Glass, pourtant) qui invitent à une comparaiso­n avec The Leftovers. Exercice injuste pour la série de Halpern qui n’a ni l’ampleur ni la profondeur de celle de Damon Lindelof et de Tom Perrotta, mais reste un beau petit objet capable de se faufiler sous la chair.

Tales From The Loop sur Prime Video.

 ?? Photo Amazon Prime Video ?? Le Midwest lunaire de Tales From the Loop.
Photo Amazon Prime Video Le Midwest lunaire de Tales From the Loop.

Newspapers in French

Newspapers from France