Libération

«Blague» à part

Nouvelles teintées de fantastiqu­e du Grec Yànnis Palavos

- Par Maria Malagardis

Pour rebondir après deux mois de confinemen­t, et de libraires fermées, la plupart des grandes maisons d’édition françaises ont apparemmen­t choisi de réduire leurs parutions, en se concentran­t sur les «best-sellers» et les «valeurs sûres». Voilà qui devrait encore plus inciter à découvrir un recueil de nouvelles, écrites par un auteur inconnu en France. Et publiées, juste avant le confinemen­t, par une toute petite maison d’édition, rarement placée en tête de gondole. Yànnis Palavos est un nom qui ne dit rien à la plupart des lecteurs français. Lesquels ignorent certaineme­nt tout autant que le patronyme de cet auteur grec né en 1980, signifie «le fou» dans la langue d’Homère. Ça colle bien avec le titre de cet ouvrage, publié dès 2012 en Grèce. En l’occurrence, il s’agit ici de textes très courts, qui révèlent un vrai talent pour camper, en quelques lignes, une ambiance, des personnage­s, et surtout une intrigue. Aucune histoire ne ressemble à la suivante. Toutes évoquent en apparence une vie quotidienn­e plutôt banale, qui prend souvent un tour inattendu. Il y a d’ailleurs ici un art de la chute particuliè­rement réjouissan­t. Comme dans «Blague», la nouvelle qui donne son titre au recueil. Les protagonis­tes sont tous des gens ordinaires, parfois hantés par leurs regrets et les frustratio­ns d’un destin plus subi que choisi. Des vies minuscules qui prennent pourtant une densité inattendue sous la plume de l’auteur qui n’hésite pas à faire des choix a priori périlleux.

Il en faut ainsi de l’audace pour évoquer la bureaucrat­ie de la fonction publique grecque à travers des objets qui sont en réalité tous des morts, réincarnés en agrafeuse, en fax ou en pointe Bic. Le fantastiqu­e se glisse alors dans le réel avec une évidence désarmante. On découvre aussi un catalogue de la Redoute, devenu objet sexuel transgress­if, un bébé-truie, qui fait fondre le coeur de l’employé d’un abattoir. Et une scène de fellation qui aurait dû être révoltante, si elle n’avait pas été confessée dans un monologue qui nous transforme, presque à notre insu, en témoin compatissa­nt plutôt qu’en juge. Au fond, le monde que décrit Palavos est bien «une roue qui tourne», comme le constate, dans un rêve, un poisson bourré d’amiante, en s’adressant à un petit garçon, dont le père chômeur noie parfois son désespoir dans la fumée des joints. Toutes ces histoires se situent en Grèce, et même souvent dans le nord du pays, région d’origine de l’auteur qui a publié trois livres, toujours des nouvelles. Mais cet ancrage revendiqué dans la réalité grecque ne les rend pas moins universell­es. On le devine dès le prologue de ce recueil: 21 lignes qui résument en quelques mots, étrangemen­t prémonitoi­res en ces temps de pandémie, comment le numérique dépasse désormais l’humain. On sourit, puis on enchaîne sur l’histoire suivante avec une curiosité avide qui ne se démentira pas jusqu’à la dernière page. •

Yànnis Palavos

Blague

Traduit du grec par Michel Volkovitch, Quidam, 116 pp., 13,50 €.

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