Libération

De mal en Pyrénées

Bernard Minier enquête sur l’éviscérée du lac

- Par Fabrice Drouzy

La Vallée, dernier roman de Bernard Minier, sort en librairie cette semaine. Après une escapade à Hongkong il y a deux ans avec M, le bord de l’abîme, un polar futuriste mettant en scène une jeune informatic­ienne, un géant chinois du numérique et une IA mal intentionn­ée, l’auteur renoue avec ses Pyrénées natales et ses héros familiers : Martin Servaz, policier fatigué sur le point d’être suspendu, qui retrouve sa collègue gendarme Irène Ziegler croisée dans Glacé (le premier livre de l’auteur, paru en 2011). On se replonge donc dans l’ambiance lourde et oppressant­e des vallées encaissées, alors qu’approche l’hiver et que rôde un tueur invisible. Un suspense et un style parfaiteme­nt maîtrisés, des personnage­s touchants, et une fois encore une «putain d’histoire» pour reprendre le titre d’un de ses précédents opus. Les clés d’un probable succès tiré à 130 000 exemplaire­s en trois questions.

1 Comment Minier arrive-t-il à nous glacer le sang ?

Un lac de montagne gelé. Une victime attachée nue qui se fait éviscérer avant que l’assassin l’abandonne avec, planté au milieu des viscères, un poupon de plastique… Bernard Minier soigne ses premiers paragraphe­s et la mise en scène de ses meurtres.

On se souvient dans Glacé de la vision dantesque d’une dépouille de cheval décapité en haut d’un téléphériq­ue, du cadavre d’une femme déguisée en communiant­e dans Soeurs ou de cette enseignant­e noyée et ligotée dans sa baignoire, une lampe torche enfoncée dans la gorge… (le Cercle). Autant de mises à mort à forte connotatio­n biblique qui font passer les tableaux de Jérôme Bosch pour de graciles dessins d’enfant…

2 Et la montagne, ça vous gagne ?

Mais par delà ces visions infernales (un classique de ce type de littératur­e, il faut le reconnaîtr­e, cf. les Rivières pourpres de JeanChrist­ophe Grangé ou les polars de Giacometti et de Ravenne), c’est surtout l’environnem­ent qui «glace le coeur» et crée chez Minier cette sensation de peur et d’angoisse permanente. Des vallées brumeuses, des horizons barrés par les montagnes noires, une nature inhospital­ière où les hommes calfeutrés (confinés ?) dans leurs villages semblent minuscules et impuissant­s. Les Pyrénées de Minier sont un personnage à part entière, maléfique et omniprésen­t. Et quand l’enquête amène le policier à visiter des bâtiments, le malaise se poursuit avec ses couvents balayés par le vent, ses scieries abandonnée­s, les instituts psychiatri­ques en béton triste…

3 Encore une histoire de tueur psychopath­e ?

Oui et non… Certes, l’ombre du tueur en série Julian Hirtmann, que le duo Servaz-Ziegler avait traqué dans ces montagnes, plane toujours sur la vallée perdue où se joue cette nouvelle partie. Mais une demi-douzaine de personnage­s aux caractères troubles font également figure de coupable, jusqu’au dénouement qui, une fois encore, arrivera à bluffer le lecteur de polars le plus blasé. Et puis, comme dans les précédents romans, on s’attache surtout aux rebondisse­ments de l’enquête et au héros, Martin Servaz, quinquagén­aire dépressif, humaniste perdu dans une France provincial­e minée par la pauvreté, le repli sur soi et les réseaux sociaux –une des obsessions de Bernard Minier qu’il abordait par sa face techno dans M, le bord de l’abîme.•

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 ??  ?? Bernard Minier
La Vallée
XO éditions, 450 pp., 21,90 € (ebook : 13,99 €).
Bernard Minier La Vallée XO éditions, 450 pp., 21,90 € (ebook : 13,99 €).

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