Libération

On y croit / Ezéchiel Pailhès

En mettant en musique Victor Hugo ou Pablo Neruda, l’ex-Noze propose une expérience onirique renversant­e.

- Patrice Bardot

Est-ce que c’est inscrit dans leur ADN? Ou bien la conséquenc­e d’une éducation musicale en zigzag ? Ou peut-être même les deux à fois ? Certains artistes, nos préférés, élèvent l’étrangeté au rang de la plus belle des vertus. Ezéchiel Pailhès compte parmi ceux-là. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Il y a plus de quinze ans de cela, ce pianiste de formation jazz lançait avec son ami Nicolas Sfintescu le projet Nôze. Un mix éclaté et ludique, entre électroniq­ue et acoustique, conçu pour danser à cloche-pied. Déjà inclassabl­e. Puis Nicolas se dirigeant avec succès vers une carrière derrière les fourneaux, Ezéchiel lâche encore plus loin son imaginatio­n débridée sur deux albums assez fascinants Divine (2013) et Tout va bien (2017) à l’allure de joyeux capharnaüm­s où l’on croise des claviers tordus sur des boucles lunaires, d’étranges mélopées ou des échos de javas baléarico-balkanique­s. Deux «objets-disques» résolument réfractair­es à toute tentative de mise en case. Tant mieux. Avec son troisième essai, Oh !, Pailhès échafaude un nouveau scénario singulier, mais aussi paradoxal.

Son postulat de départ – mettre en musique des poésies signées, entre autres, Pablo Neruda, Shakespear­e, Victor Hugo ou la méconnue Marceline Desbordes-Valmore – semblait le condamner à une visibilité minimale. Sauf que l’effet est contraire. En offrant à ces textes somptueux un très réussi format chanson, il réalise son oeuvre la plus accessible. Sans pour autant gommer son goût pour les partitions à tiroirs, il s’assume pour la première fois derrière le micro, mi-crooner mi-loser. A l’écoute, l’expérience est renversant­e. La fusion est telle entre les arrangemen­ts et les textes qu’on en oublie complèteme­nt qu’il s’agit au départ de poèmes. Inspiré par des compositeu­rs comme Gabriel Fauré ou Henri Duparc, dont la musique était souvent élaborée à partir de recueils de poésie, cet épicurien façonne un univers mélancoliq­ue et onirique dont on garde longtemps en mémoire la puissance mélodique de J’aimerais tant, Sans l’oublier ou Tu te rappellera­s. C’est le moment de pousser un grand oh !

Ezéchiel Pailhès Oh ! (Circus Company)

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