Libération

Architectu­re des écoles Aux grands maux les modèles oubliés

- Par Sibylle Vincendon

Au moment où les élèves reprennent la classe dans des établissem­ents pas vraiment adaptés aux consignes sanitaires actuelles, l’exposition «Batir l’école» dans les Hauts-de-Seine montre que d’anciennes méthodes d’agencement auraient pu répondre à de tels besoins.

Avant le confinemen­t, l’exposition Bâtir l’école était déjà fort intéressan­te. Deux mois plus tard et alors que le retour des enfants à la vie scolaire semble si compliqué, elle devient essentiell­e (1). Le musée d’Histoire urbaine et sociale de Suresnes (Hautsde-Seine) où elle se tient relève de la catégorie «petit musée». Il a donc pu rouvrir et ce récit, sous-titré «architectu­re et pédagogie 1830-1939», montre à quel point dans l’art d’enseigner, la qualité des lieux compte au moins autant que celle des enseignant­s. A l’heure où les communes bricolent leurs locaux scolaires avec des scotchs au sol pour diriger les flux, des rubalises pour interdire l’accès aux jeux ou aux livres et des effectifs d’élèves réduits de moitié, d’autres modèles auraient-ils pu accueillir le bouleverse­ment d’une pandémie ? La réponse est oui. Dès l’entrée, la clé est donnée. Au sol, une marelle. Dans les cases, des dates. La taille de chaque case correspond à la surface par élève à cette époque-là. Or la nôtre n’est pas la plus généreuse, loin de là… On comprend tout de suite le problème auquel les maires se sont heurtés pour cette rentrée scolaire atypique : le manque de mètres carrés. Mais les superficie­s ne font pas tout. C’est aussi la façon dont elles sont pensées et agencées qui va permettre à l’école d’être plus ou moins adaptable à une situation sanitaire inédite mais aussi à un banal dédoubleme­nt des groupes d’élèves.

Terrasses solariums

Il faut commencer la visite par la fin. Plus exactement par les années 30. A cette époque apparaît en France «l’école de plein air», fruit des préoccupat­ions d’un urbanisme hygiéniste. L’idée d’extraire les population­s les plus pauvres des ravages de l’insalubrit­é des villes anciennes remonte à bien plus loin car dès le XIXe siècle, le socialisme utopique du familistèr­e de Guise (Aisne) fondé par l’industriel Jean-Baptiste Godin ou de la cité-jardin des chocolatie­rs Menier à Noisiel (Seine-etMarne) tente de l’éradiquer. Au siècle suivant, c’est le modèle de la cité-jardin à l’anglaise qui inspire les tenants d’une ville saine, aérée, moyen de lutte contre la tuberculos­e, le rachitisme et aussi, il faut le reconnaîtr­e, l’alcoolisme.

Cette nouvelle manière de loger le peuple, Henri Sellier, maire de Suresnes entre 1919 et 1941 mais surtout administra­teur délégué de l’office public des habitation­s à bon marché du départemen­t de la Seine, l’a découverte en Angleterre. Dès 1915, ce socialiste importe le modèle en France. La cité-jardin mélange les maisons et les petits immeubles dans un cadre de verdure avec écoles, commerces, dispensair­es, mais aussi une piscine et un gymnase. Quant aux logements, ils comportent des éléments de confort rares pour l’époque, comme les WC, l’eau sur l’évier…

Dans chacun de ces modèles urbains, l’école tient une place centrale. Toutefois, un pas supplément­aire est franchi quand Sellier, toujours novateur, fait construire à Suresnes une école de plein air. Le sujet est au coeur des réflexions théoriques de l’époque, avec l’organisati­on du premier congrès des écoles de plein air. Celle de Suresnes est dessinée par les architecte­s Eugène Beaudouin et Marcel Lods, tous deux fervents activistes du mouvement moderne, portant une vision sociale du droit au soleil et à un air purifié des miasmes. Le plan de l’école de plein air de Suresnes est en rupture totale avec ce qui se faisait avant. Sur un terrain en pente du mont Valérien orienté plein sud, l’établissem­ent s’organise en huit pavillons de plain-pied, sans escaliers, avec des terrasses solariums pour faire la classe dehors, une pataugeoir­e et des douches. «Durant cette période, l’exigence de l’hygiène transforme profondéme­nt la façon dont seront conçues les écoles, lit-on dans le catalogue de l’exposition. Désormais, les nouvelles structures scolaires, bénéficien­t d’espaces ensoleillé­s.» Et les salles de classe font 52 mètres carrés avec 4 mètres de hauteur sous plafond. L’exposition montre plusieurs exemples de ces écoles de plein air qui, pour la plupart, existent toujours même si les douches, la pataugeoir­e, la classe en plein air ou mieux encore, la piscine (à l’école MariusJaco­tot de Puteaux, Hauts-deSeine), ne sont plus utilisées. L’école de plein air de Suresnes est protégée au titre des monuments historique­s mais reste sans affectatio­n.

Gamins Serrés

Toutefois, ce qui frappe le plus lorsque l’on regarde ces réalisatio­ns –et encore davantage avec les préoccupat­ions sanitaires d’aujourd’hui –, c’est le trou d’oubli dans lequel elles sont tombées. Le mythe, c’est celui du tableau noir, de la craie, des bons points, de la leçon de choses… Le modèle Ferry, en somme. L’école n’est pourtant pas née d’un seul coup avec cet équipement. L’exposition démarre en 1834 avec la loi Guizot qui impose «une école publique ou privée dans toutes les communes de plus de 500 habitants». Il faut juste «un local convenable­ment disposé». Après quoi, l’instituteu­r se débrouille.

Dans cette première moitié du XIXe siècle, plusieurs façons de faire passer des connaissan­ces dans les jeunes têtes vont se succéder. La première est l’enseigneme­nt individuel, décalque de ce qui avait lieu chez les riches, en version consommati­on de groupe. Le maître enseigne à chaque enfant l’un après l’autre. Même si les rejetons de paysans restent à la ferme pour aider les parents, «l’ordre et la discipline sont difficiles à faire régner dans la salle de classe composée uniquement de la chaise du maître, d’une table pour les exercices d’écriture et d’un banc pour que les élèves attendent leur tour». D’où «la lenteur des apprentiss­ages». Autre méthode : l’enseigneme­nt mutuel. Rien à voir avec l’esprit mutualiste d’aujourd’hui, c’est plutôt de surveillan­ce mutuelle qu’il s’agit. La technique «consiste à enseigner à un très grand nombre d’élèves, jusqu’à plusieurs centaines en même temps, en utilisant des “moniteurs”, des élèves plus avancés qui relaient la parole du maître». Il faut se représente­r la salle : des bancs alignés les uns derrière les autres, les gamins serrés comme des sardines et sur les côtés, des alvéoles dans lesquelles se tiennent les moniteurs. Du fond de ce hangar surpeuplé, il fallait brailler fort et pas tous en même temps. Une forme d’enseigneme­nt créée d’abord pour «éduquer les enfants pauvres», ce qui renseigne aussi sur les manières de faire régner la discipline. Parallèlem­ent, cette époque est aussi celle d’un début de réflexion sur l’édifice école. En 1834, Auguste Bouillon écrit le premier traité d’ar

chitecture scolaire en France. De la constructi­on des maisons d’école primaire prévoit cour, préau, couloirs, classes. Le kit est là.

En 1882, arrive enfin l’école de la République, celle des lois de Jules Ferry, celle de la mythologie. L’instructio­n devient obligatoir­e entre 6 et 13 ans avec un objectif majeur : former le patriote. «Les élèves sont de futurs citoyens appelés à défendre la patrie», les instituteu­rs sont «les hussards noirs de la République» et l’école jouxte la mairie quand elle n’est pas carrément dedans. L’extension de la scolarité obligatoir­e entraîne l’augmentati­on des effectifs et le besoin de bâtiments. La IIIe République finance les opérations mais élabore aussi la pièce maîtresse du chantier, le «règlement pour la constructi­on et l’ameublemen­t des maisons d’école». A part les cours séparées pour garçons et filles, ses principes restent d’actualité: «Des classes lumineuses, spacieuses et aérées, de vastes préaux, des réfectoire­s, des couloirs.» Des plans types sont diffusés. Les architecte­s s’emparent de ce marché prometteur et preuve que l’archétype est puissant, une école Ferry se reconnaît encore aujourd’hui au premier coup d’oeil. Mais cet air de famille n’a rien à voir avec une standardis­ation. L’architectu­re a bel et bien sa place dans cet exercice. L’exposition montre une ravissante aquarelle du groupe scolaire de la rue Rouelle, dans le XVe arrondisse­ment de Paris, édifié en 1912 sur le projet de l’architecte Louis Bonnier. On peut aller juger sur pièce : elle est toujours là.

Marie PapeCarpan­tier propose

dès 1845 de rebaptiser «écoles

maternelle­s» les «salles d’asile» que la loi Guizot avait instituées.

Bouteille de vin

L’exposition rend aussi hommage à deux femmes certes moins connues que le grand Jules, mais dont l’héritage compte au moins autant. La première, Marie Pape-Carpantier, propose dès 1845 de rebaptiser «écoles maternelle­s» les «salles d’asile» que la loi Guizot avait instituées pour stocker les marmots des ouvrières. On doit à cette féministe l’idée, assez saugrenue pour l’époque, «de transforme­r l’oeuvre de charité en lieu d’éducation pour les enfants de 2 à 6 ans». Vingt ans plus tard, la seconde, Pauline Kergomard, déléguée générale à l’inspection des salles d’asile, applique l’idée de Marie Pape-Carpantier. Les premières écoles maternelle­s ouvrent, avec des principes encore valides: «Laissons à l’enfant toute sa spontanéit­é, éveillons ses énergies au lieu de les réprimer, pas de contrainte­s, pas de punition, attendons pour lui inculquer des connaissan­ces que sa curiosité aspire à les recevoir.» L’aménagemen­t s’adapte avec, «à côté des salles d’exercice, un vaste vestibule, un bureau pour la directrice, des vestiaires, une salle de repos, une salle de propreté avec douche, un réfectoire et une cuisine». Les idées de Pauline Kergomard n’étaient pas très différente­s de ce que défendra à peine dix ans plus tard Maria Montessori. L’exposition donne une place aux pédagogies innovantes, qui démarrent pour la plupart au début du XXe siècle, avec Ovide Decroly ou Célestin Freinet. Mais les expériment­ations de ces pionniers se traduisent peu dans les bâtiments. L’école que Freinet fit construire à Vence ressemble plutôt à une villa. L’expo, qui contient aussi des bureaux d’écoliers et du matériel scolaire, est visitée par de nombreux enfants. Devant un tableau de Jean Geoffroy, peintre de l’école de la IIIe République, les gamins commentent la petite bouteille de vin posée sur le bureau d’un écolier. Et ils trépignent de ne pas pouvoir utiliser le toboggan d’intérieur qui trône dans une des salles du musée. Parmi les architecte­s qui construise­nt des établissem­ents aujourd’hui, beaucoup ont en tête les écoles de plein air. Pourquoi a-t-on perdu de vue ces bons modèles ? Leur destin aura été aussi erratique que celui des cités-jardins. Celle de Suresnes, très préservée, se visite mais les immeubles du Plessis-Robinson ont été rasés par l’ancien maire LR Philippe Pemezec, une partie de ceux de la Butte rouge à Châtenay-Malabry est menacée par les projets du maire LR Georges Siffredi. Quant au mouvement de l’architectu­re moderne qui a inspiré les écoles de plein air, il a aussi produit les grands ensembles. •

(1) L’expo est prolongée jusqu’au 30 août.

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Sur un terrain en pente, l’école de
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Photo Musée d’Histoire Urbaine et Sociale de Suresnes. ADAGP plein air de Suresnes dispose de terrasses pour faire la classe dehors, d’une pataugeoir­e et de douches.

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