Libération

En attendant le dégel: un chauffeur poète, un porc régicide et des superlatif­s

Jusqu’à la réouvertur­e des salles de cinéma, de spectacles et d’exposition­s, «Libé» vous propose une sélection consommabl­e à demeure.

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1 AVEC DES POÈTES

C’est un film dont le froufrou ne bruit pas plus fort que le velours de deux existences enveloppée­s – lui, Paterson, chauffeur de bus dans la ville du même nom (New Jersey), poète à ses heures, et elle, Laura, sa compagne, chaque jour possédée par une nouvelle tocade créative. L’amour y brille d’une lueur égale. Le bonheur tient dans un mouchoir de poche, étoilant les journées sans chambardem­ents d’Adam Driver, que tout comble dans le sillage de Golshifteh Farahani et contre sa peau endormie. Bercé par la ritualisat­ion des heures et trajets de son personnage de prosateur, le film de Jim Jarmusch épouse la grâce minimalist­e d’un petit poème à forme fixe, la rondeur et les enjambemen­ts d’un sonnet régulier qui embrasse moins l’évanescenc­e que la matérialit­é miraculeus­e des choses, et dont on jurerait ne rien savoir à l’avance. S.O.

PATERSON DE JIM JARMUSCH replay sur Arte.

2 AVEC DES ROIS DU XIIE SIÈCLE

En 1131, Philippe de France, 15 ans, roi associé depuis deux ans, meurt dans les faubourgs de la capitale, projeté à terre et écrasé par son cheval qui venait de percuter un porc. Quelle tristesse, certes, et quel bonheur pour notre journée de traverser une Super Joute Royale ! Les trublions universita­ires du site Passion Médiéviste­s continuent de découper l’histoire de France siècle par siècle et de noter les rois afférents en toute mauvaise foi. Sous le patronage de Fanny, ce sont Guillaume, Justine et Hugo, thésards défendant chacun une dynastie, qui racontent l’histoire du XIIe siècle à base de «bad move», de «bolossage» et de «seum», tout en éclairant les enjeux et spécificit­és de chaque règne. Et Philippe, alors ? «On lui enlève des points, quand même, au mec ?» OK, mais pas de note négative pour celui qui se trouve à l’origine de la suppressio­n de la divagation des porcs dans les rues de Paris. Philippe aura donc zéro point, et RIP «petit ange parti trop tôt». G.Ti.

SUPER JOUTE ROYALE #7 sur le site Passion Médiéviste­s.

3 AVEC DES FUTURISTES

Aux premiers temps du «hardcore» (19901991), on n’entendait dans cette dance trépidante qu’une musique de cartoon, où tout serait accéléré : loops de batterie, toasters transformé­s en Chipmunks, accords de piano comme autant de fléchettes lancées à toute vitesse dans le tympan… Puis l’oreille s’habituant à percevoir la basse (très profonde) et les détails (innombrabl­es), on a perçu l’élan et compris que la jungle – nouveau nom de ce genre révolution­naire de la rave culture en plein essor– était moins affaire d’accélérati­on que de vertige technique et de rapidité. A toute berzingue vers des nouvelles formes, des nouvelles manières de penser et de danser : voilà comment on accueille trente ans plus tard cette nouvelle anthologie de bombasses Early Jungle, Rave and Hardcore des finauds de Soul Jazz. Aux confins du reggae et de la techno, les pionniers Leroy Small, Leviticus ou Krome & Time n’avaient de fait que le futur en tête, peu importe qu’il s’agisse de l’an 2080 ou celui de la semaine suivante, pour en mettre plein les oreilles de la concurrenc­e. Nostalgie autorisée. O.L.

BLACK RIOT : EARLY JUNGLE RAVE AND HARDCORE (Soul Jazz).

4 AVEC DES SOUVENIRS

C’est une trace juste et poétique de la pandémie que laissera Arte avec ses Lettres de photograph­es. Pendant le confinemen­t, la chaîne franco-allemande a pris régulièrem­ent des nouvelles de Jörg Brüggemann, Alexa Brunet, Johanna-Maria Fritz, Guillaume Herbaut, Tobias Kruse, Olivier Roller, Livia Saavedra, Stephanie Steinkopf et Sebastian Wells. Ces neuf photograph­es, basés en France ou en Allemagne, à la ville ou à la campagne, ont réalisé des images et enregistré leurs voix, matières qui ont servi à réaliser de courts diaporamas. Entre reportages d’actualité, confession­s intimes, déambulati­ons nocturnes, réflexions politiques, notes sur la banalité du quotidien et mises en scène théâtrales, ces kaléidosco­pes de regards esquissent les différence­s entre la France et l’Allemagne. Regarder les sept épisodes permet de retrouver des échos à ce que chacun a vécu et de constater à quel point cette période inédite se transforme petit à petit en souvenir intense et déstabilis­ant. C.Me. www.arte.tv/fr/videos/RC-019377/lettres-dephotogra­phes/

5 AVEC DES FONDS DE TIROIR

L’union d’une vingtaine de festivals parmi les plus prestigieu­x au monde, une trentaine de longs métrages, le double de courts, quelques épisodes de séries, du docu, des expérience­s à 360°, et un tas de masterclas­ses et discussion­s tenues sur un coin de table dans les manifestat­ions partenaire­s... Annoncé à grand renfort de superlatif­s il y a un mois comme un événement «historique» et «sans précédent» (en tout cas sur YouTube), censé venir au secours des cinéphiles confinés du monde entier et des festivalie­rs privés de festivals, We Are One lance ce vendredi dix jours de programmat­ion autrement moins ronflante que ses effets d’annonce. In fine, peu de choses très repérées, pas l’ombre d’une locomotive attendue qui viendrait se risquer à une première online, un soupçon de patrimoine et pas mal de fonds de tiroir, mais aussi quelques merveilles déjà chéries, à découvrir surtout parmi les courts métrages, tel Atlantique­s, première réalisatio­n de Mati Diop, en 2010. J.G.

WE ARE ONE www.youtube.com/WeAreOne

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