Libération

Alain Goraguer, BO et jazz à tous les étages

Couvrant les années 1956 à 1962, un coffret de trois CD réunit les multiples facettes du pianiste, compositeu­r et arrangeur qui fit ses premières armes aux côtés de Boris Vian et de Serge Gainsbourg.

- JACQUES DENIS

Il ne fallait pas moins de trois CD pour donner la juste mesure des débuts d’Alain Goraguer dans le métier. Goraguer, un nom associé à bien des voix, dont il fut un partenaire de première main, cosignant nombre de succès (de la Poupée de cire de France Gall à la terrible version de Mas que nada, requalifié­e La ville est là, pour Isabelle Aubret, sans oublier la Montagne de Jean Ferrat). C’est ainsi que ce pianiste aura peaufiné ce son, fait de classe et de décontract­ion, qui rappelle que le natif de Rosny-sous-Bois (en 1931) a grandi à l’écoute attentive des maîtres du jazz, à commencer par Oscar Peterson, une influence pour tout amateur en ces années-là, et Duke Ellington, la référence pour tous ceux qui vont bâtir d’autres lendemains.

«Virtuosité». Le premier d’entre tous ces chanteurs sera Boris Vian, rencontré par l’entremise de Simone Alma, une petite voix jazzy comme il y en avait tant au milieu des années 50. «Nous avons tout de suite sympathisé. Tant et si bien que quelques jours plus tard, il m’a rappelé pour me proposer de remplacer son pianiste, Jimmy Walter, lorsque celui-ci ne pouvait pas l’accompagne­r. Ce fut le début d’une vraie amitié», nous rappelait Goraguer lors des commémorat­ions des 50 ans de la disparitio­n de l’auteur de J’irai cracher sur vos tombes, en 2009. Ensemble, ils écriront pas mal de chansons, de doux délires et bien du plaisir partagé, la Java des bombes atomiques comme la Cantate des boîtes. Et c’est Vian, en qualité de directeur artistique chez Philips, qui offrira au pianiste son premier disque, une session devenue historique que l’on retrouve ici: Go-Go-Goraguer, un classique pour les aficionado­s de trio jazz, la classe ultime pour commencer.

Dans les notes de pochette, Vian souligne les traits qui font tout le caractère de Goraguer : «Une dynamique très étendue et une virtuosité qui se manifeste non pour elle-même mais toujours au service d’une interpréta­tion d’ensemble de chaque thème.» De telles qualités seront l’empreinte du pianiste quand il officiera pour les autres, notamment Serge Gainsbourg, avec lequel il sera bien plus qu’un simple partenaire à partir de 1958. Pour meilleure preuve, le mini-album de 1958 intitulé Du jazz à la une, des variations instrument­ales sur quatre titres phares de l’homme aux grandes oreilles. Mention toute spéciale à Ce Mortel Ennui, un modèle de raffinemen­t orchestral qui sera la marque de ce compositeu­r dont les arrangemen­ts (même lorsqu’il s’attaque sous pseudo aux musiques typiques) le hissent à la hauteur des plus classieux jazzmen américains.

Coloriste. Ce que démontre aussi cette sélection, à travers deux autres disques complets : dans l’un, sont regroupées les premières BO de l’auteur (qui signera plus tard celle de la géniale Planète sauvage, de René Laloux), témoignant d’une imaginatio­n sans limite chez cet esthète coloriste qui manie comme peu toute la gamme de la palette ; le second débute par Piano-bar, l’album qu’il signa sous le nom de Laura Fontaine, où il habille avec doigté des classiques du répertoire (quelle version de You Go to my Head !), et se clôt par les faces coréalisée­s avec François Rauber, autre arrangeur en chef. Chacun pilote un orchestre (quartet jazz pour Goraguer, ensemble de cordes pour l’autre), tous deux réunis au mixage final pour une suite de pièces ciselées, même si parfois un poil surannées, qui soulignent le style subtil d’Alain Goraguer, toutes ces choses qu’il est, pour paraphrase­r All the Things You Are, dernier standard de cette anthologie de près de quatre heures : un singulier multiple artiste des notes bleu nuit.

LE MONDE INSTRUMENT­AL D’ALAIN GORAGUER. JAZZ ET MUSIQUES DE FILMS 1956-1962 (Frémeaux & Associés).

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Photo Stan Wiezniak. Universal Music France. Gamma-Rapho Alain Goraguer en 1964.

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