Libération

Prépublica­tions : l’occasion fait les larrons

Si la mise en ligne d’articles scientifiq­ues avant validation est courante, le phénomène s’est intensifié pendant la crise sanitaire.

- Martin Clavey A lire en intégralit­é sur Libération.fr

En ces temps de pandémie, la recherche va vite. Très vite. Des articles scientifiq­ues tout juste écrits sont mis en ligne sur des serveurs de prépublica­tion scientifiq­ue avant le processus de validation par les pairs et de sélection par les revues scientifiq­ues qui permet d’habitude de garantir une certaine qualité des travaux. Si les outils de diffusion ouverte de la science étaient déjà disponible­s avant l’apparition du Covid-19, ils sont devenus indispensa­bles pour qui suit de près l’actualité de la recherche sur le sujet. La presse et les réseaux sociaux s’appuient dessus au risque parfois de mettre en avant des recherches pas forcément très solides.

«Vitesse».

Ces serveurs de prépublica­tion ont émergé bien avant la crise. Avec arXiv (prononcer archive) en 1991, les physiciens ont été les premiers à mettre en place le leur. Ils ont vite adopté l’utilisatio­n du serveur qui leur permettait de travailler en collaborat­ion intensive avec leurs collègues du monde entier sans attendre le long processus de validation des revues scientifiq­ues. Sur arXiv, il suffit aux chercheurs d’avoir deux articles validés par leurs pairs pour pouvoir poster leurs PDF sans modération. Les autres serveurs comme chemRxiv pour la chimie ou bioRxiv pour la biologie, ont mis plus de temps à se mettre en place et ont choisi des règles de modération un peu différente­s les unes des autres. Le serveur médical est le dernier à avoir émergé. «Le projet medRxiv a été évoqué en 2017 mais, à ce moment-là, un mouvement contre l’utilisatio­n des prépublica­tions en médecine s’est mis en place, explique Hervé Maisonneuv­e, médecin et rédacteur du site Rédaction médicale et scientifiq­ue. Certains ont fait valoir que la médecine n’était pas comme la chimie ou la physique et qu’une prépublica­tion de médecine non relue par les pairs pouvait être utilisée par des personnes mal intentionn­ées pour désinforme­r le grand public.» Finalement, medRxiv a été lancé mi-2019 et n’était pas encore très utilisé jusque-là. Depuis l’apparition du virus, c’est l’avalanche. La plateforme reçoit entre 50 et 100 articles par jour à propos du SarsCoV-2 et totalise à ce jour plus de 3 000 articles en ligne sur le sujet. «La recherche va à une vitesse incroyable !» s’enthousias­me Alexis Verger, biologiste au CNRS, avant de préciser que «3 500 articles, c’est impossible à lire et à vérifier. De mauvais articles vont sans doute faire la une et il faut faire attention à ne jamais trop s’emballer.»

«Partager».

Pour expliquer ce foisonneme­nt, Chloé-Agathe Azencott, bioinforma­ticienne à l’école des Mines ParisTech, avance qu’«il y a peut-être un double souhait chez les chercheurs. Celui de partager le plus rapidement possible avec sa communauté mais sans doute aussi celui d’être le premier à avoir publié le nom de la molécule qui deviendra le médicament qui soigne le Covid-19». Ce que redoutent aujourd’hui les chercheurs, ce sont les effets sur le grand public. Difficile de savoir si la proportion de fake science répandue à l’aide de prépublica­tions a augmenté pendant l’épidémie.

Newspapers in French

Newspapers from France