Prépublications : l’occasion fait les larrons
Si la mise en ligne d’articles scientifiques avant validation est courante, le phénomène s’est intensifié pendant la crise sanitaire.
En ces temps de pandémie, la recherche va vite. Très vite. Des articles scientifiques tout juste écrits sont mis en ligne sur des serveurs de prépublication scientifique avant le processus de validation par les pairs et de sélection par les revues scientifiques qui permet d’habitude de garantir une certaine qualité des travaux. Si les outils de diffusion ouverte de la science étaient déjà disponibles avant l’apparition du Covid-19, ils sont devenus indispensables pour qui suit de près l’actualité de la recherche sur le sujet. La presse et les réseaux sociaux s’appuient dessus au risque parfois de mettre en avant des recherches pas forcément très solides.
«Vitesse».
Ces serveurs de prépublication ont émergé bien avant la crise. Avec arXiv (prononcer archive) en 1991, les physiciens ont été les premiers à mettre en place le leur. Ils ont vite adopté l’utilisation du serveur qui leur permettait de travailler en collaboration intensive avec leurs collègues du monde entier sans attendre le long processus de validation des revues scientifiques. Sur arXiv, il suffit aux chercheurs d’avoir deux articles validés par leurs pairs pour pouvoir poster leurs PDF sans modération. Les autres serveurs comme chemRxiv pour la chimie ou bioRxiv pour la biologie, ont mis plus de temps à se mettre en place et ont choisi des règles de modération un peu différentes les unes des autres. Le serveur médical est le dernier à avoir émergé. «Le projet medRxiv a été évoqué en 2017 mais, à ce moment-là, un mouvement contre l’utilisation des prépublications en médecine s’est mis en place, explique Hervé Maisonneuve, médecin et rédacteur du site Rédaction médicale et scientifique. Certains ont fait valoir que la médecine n’était pas comme la chimie ou la physique et qu’une prépublication de médecine non relue par les pairs pouvait être utilisée par des personnes mal intentionnées pour désinformer le grand public.» Finalement, medRxiv a été lancé mi-2019 et n’était pas encore très utilisé jusque-là. Depuis l’apparition du virus, c’est l’avalanche. La plateforme reçoit entre 50 et 100 articles par jour à propos du SarsCoV-2 et totalise à ce jour plus de 3 000 articles en ligne sur le sujet. «La recherche va à une vitesse incroyable !» s’enthousiasme Alexis Verger, biologiste au CNRS, avant de préciser que «3 500 articles, c’est impossible à lire et à vérifier. De mauvais articles vont sans doute faire la une et il faut faire attention à ne jamais trop s’emballer.»
«Partager».
Pour expliquer ce foisonnement, Chloé-Agathe Azencott, bioinformaticienne à l’école des Mines ParisTech, avance qu’«il y a peut-être un double souhait chez les chercheurs. Celui de partager le plus rapidement possible avec sa communauté mais sans doute aussi celui d’être le premier à avoir publié le nom de la molécule qui deviendra le médicament qui soigne le Covid-19». Ce que redoutent aujourd’hui les chercheurs, ce sont les effets sur le grand public. Difficile de savoir si la proportion de fake science répandue à l’aide de prépublications a augmenté pendant l’épidémie.