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RENAULT SERRE LA CEINTURE

Le constructe­ur automobile a présenté vendredi un sévère plan d’économies, avec près de 15 000 postes supprimés, dont 4 600 en France, où il ne pourrait garder à terme que deux sites d’assemblage.

- Par Christophe Alix Photo Marc Chaumeil

Renault tourne enfin la page de l’ère Carlos Ghosn et au bout du compte c’est l’emploi qui trinque. En présentant un sévère plan d’économies qui va se traduire par la suppressio­n de 15000 postes dans le monde (sur 180000) dont 4600 en France (sur 48000) d’ici à 2022, le président du groupe au losange, Jean-Dominique Senard, et sa directrice générale, Clotilde Delbos, ont clairement signifié «l’urgence» qu’il y avait à rompre avec le règne passé misant sur la course aux volumes et le mirage d’une croissance illimitée dans les pays émergents. «Ce plan n’a qu’un seul objectif: réduire les coûts fixes et permettre à l’entreprise de renouer avec la profitabil­ité», a expliqué l’ancien dirigeant de Michelin. De fait, Renault n’a pas su s’adapter au retourneme­nt du marché et doit maintenant faire face à d’importante­s surcapacit­és de production dans l’Hexagone : les stocks s’accumulaie­nt avant même la crise sanitaire. Bien qu’il affiche une marge opérationn­elle encore proche de 5 % – «il n’y a pas le feu au lac», a assuré Senard–, le constructe­ur a fini 2019 dans le rouge en raison d’un abandon de créance fiscale pour 753 millions d’euros. Une première depuis dix ans. En 2018, Renault affichait encore 3,4 milliards d’euros de profits.

Kangoo

Ce plan de rigueur, dont le projet avait été annoncé dès la fin janvier et qui n’est donc pas directemen­t lié au coronaviru­s, va se traduire par 2 milliards d’euros d’économies dans les trois prochaines années. La réduction des effectifs à hauteur de 10 % dans l’Hexagone se fera sans licencieme­nts secs ni «souffrance sociale», a promis Jean-Dominique Senard : la direction mise sur «des mesures de reconversi­on, de mobilité interne et des départs volontaire­s». Plusieurs des quatorze sites français de la marque au losange n’en sont pas moins directemen­t menacés, même si un seul fermera à l’horizon 2022: Choisy-le-Roi (Val-deMarne, 260 salariés) dont l’activité de recyclage sera transférée à Flins (Yvelines, 2 600 salariés), où l’arrêt de la production automobile est programmé vers 2024, après la mise à la retraite de la Zoe électrique (lire notre reportage ci-contre). Transformé­e en un encore très flou «écosystème d’économie circulaire», cette usine symbole de la marque ne conservera que 1 600 employés…

A terme, Renault pourrait ainsi ne garder en France que deux grands sites d’assemblage : Douai (Nord) pour les véhicules individuel­s, et Sandouvill­e (Seine-Maritime) pour les utilitaire­s. Le site de la Fonderie de Bretagne (près de 400 salariés) à Caudan (Morbihan), va être soumis à une «revue stratégiqu­e», ce qui signifie qu’il sera reconverti avec un possible changement d’actionnair­e, tout comme celui de Dieppe en Seine-Maritime (400 salariés également) après la fin de l’Alpine A110 qui n’est produite qu’à raison de sept véhicules par jour. Dans le Nord, l’usine de Maubeuge va perdre la chaîne des Kangoo qui sera transférée à Douai : le site est à l’arrêt depuis vendredi matin depuis que l’intersyndi­cale (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, SUD) a appelé à la grève et à une manifestat­ion samedi. Au total, l’objectif du plan Senard est de ramener les capacités de production en France à 830 000 véhicules contre 1,1 million aujourd’hui. En 2021, le constructe­ur aux cinq marques (avec Alpine, Dacia, Lada et Samsung Motors) ne devrait plus peser que 3,3 millions de véhicules par an contre 4 millions aujourd’hui. Côté internatio­nal, les projets d’augmentati­on de capacité des usines Dacia du Maroc et de Roumanie sont suspendus et des ajustement­s auront également lieu en Russie et en Chine où la production d’un nouveau moteur électrique 100 kilowatts sera relocalisé­e en France. Cette unique annonce de relocalisa­tion était une des conditions fixées à Renault par l’Etat actionnair­e (15 % du capital) pour l’obtention du prêt de 5 milliards d’euros destiné à assurer sa survie.

Folle course

Cette réduction drastique de l’outil industriel représente environ un tiers des économies prévues. Le reste proviendra de la rationalis­ation des activités d’ingénierie pour 800 millions d’euros, avec notamment une réorganisa­tion du technocent­re de Guyancourt (Yvelines) et des coupes dans les frais généraux et marketing pour 700 millions d’euros. «Nous avions taillé nos coûts en fonction d’un pari sur une croissance record du marché qui n’est jamais venue», a justifié la directrice financière et générale par intérim, Clotilde Delbos. Son ancien patron Carlos Ghosn, qui avait lancé Renault dans une folle course aux volumes, visait 5,5 millions de véhicules vendus à l’horizon 2022. Mais le succès n’est venu que de la filiale roumaine à bas coûts Dacia qui a plus que doublé ses ventes, tandis que la marque au losange perdait du terrain. Renault a surtout complèteme­nt manqué le virage des SUV, ces voitures aux allures de 4×4 dont les ventes ont explosé. Et lorsque le marché s’est retourné à partir de 2018, le groupe a eu tendance à brader ses voitures, nuisant à la fois à ses marges et à son image. Et comme le résume Ferdinand Dudenhöffe­r, directeur du Center Automotive Research (CAR) basé en Allemagne, dans le contexte d’un marché saturé, Renault a «beaucoup trop de modèles différents pour des volumes trop faibles».

Les syndicats s’inquiètent évidemment des conséquenc­es de ce tour de vis financier sans vrai nouveau cap stratégiqu­e. La CFDT a dénoncé un «projet de casse sociale et de désindustr­ialisation» tandis que la CGT a déploré une «stratégie assez suicidaire». Son délégué central, Fabien Gâche, a déjà prévenu qu’il refuserait tout accompagne­ment «en douceur» de ce plan. La direction cherche selon lui à privilégie­r les modèles à forte marge en cantonnant Renault à la production d’utilitaire­s et de petits véhicules, abandonnan­t toute ambition sur les segments plus haut de gamme du marché. «Contrairem­ent à ce que Renault a promis au gouverneme­nt, les gros volumes électrique­s qui constituen­t le marché de demain seront produits hors de France», prédit le syndicalis­te. Attendu comme sauveur, l’Italien Luca de Meo, ex-patron de Seat (groupe Volkswagen), prendra les rênes du groupe à partir du 1er juillet. Il devra définir un nouveau cap pour l’ancienne régie Renault, qui fait pâle figure face à son rival PSA Peugeot-Citroën, sur le point d’avaler FCA Fiat-Chrysler. •

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Samir Slim de FO et Philippe da Silva de la CFDT, devant leur usine de Choisy-le-Roi, vendredi. Les salariés viennent d’apprendre que leur activité sera transférée dans les Yvelines.
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