Le Congo au fil de la «Conversation»
Pour cause de Covid-19 et faute de pouvoir réaliser l’habituel reportage découlant du prix Carmignac, le lauréat de la onzième édition, Finbarr O’Reilly, a initié une plateforme collaborative qui met en lumière les travaux de journalistes et photographes congolais.
Créé en 2009, le prix Carmignac explore chaque année une zone géographique, avec une prédilection pour ces territoires spasmodiques où, de Gaza à l’Iran, au Zimbabwe ou à la Lybie, peu connaissent le répit. De même, l’événement décliné sous forme de livre et d’exposition déménage fréquemment dans Paris (musée d’Art moderne, Chapelle des beaux-arts, Cité des sciences et de l’industrie…). Centrée sur la république démocratique du Congo (RDC), la 11e édition a été remportée par le photographe canado-britannique Finbarr O’Reilly qui, comme tous ses prédécesseurs, s’est vu attribuer une bourse de 50000 euros afin de pouvoir construire un reportage sur le terrain. Familier du continent africain où il vit et travaille (du Niger à l’Afrique du Sud), O’Reilly, également Prix World Press 2006, devait passer six mois au Congo, à compter de janvier. La crise sanitaire mondiale et la fermeture consécutive des frontières en ont décidé autrement. Sans pour autant couper le lauréat dans son élan. En concertation avec la Fondation Carmignac, à l’origine de ce prix suffisamment solide et respecté pour avoir naguère survécu aux turbulences provoquées par son initiateur, l’homme d’affaires Edouard Carmignac, le photoreporter a juste changé son boîtier d’épaule. Congo in Conversation devient de la sorte un reportage collaboratif en ligne, qui entend fédérer divers journalistes et photographes congolais (ou établis sur place), afin de «traiter des défis humains, sociaux et écologiques» que le pays affronte aujourd’hui. Sur un site créé pour l’occasion, la tribune mêle photos, vidéos, textes et est régulièrement enrichie, composant ainsi la mosaïque précaire d’une kleptocratie où, depuis l’arrivée au pouvoir en janvier 2019 d’Etienne Tshisekedi, celles et ceux qui dénoncent trop frontalement la corruption ambiante s’exposent à tout un arsenal répressif (menaces, arrestations, agressions). Une dizaine de contributeurs alimentent à ce jour Congo in Conversation. Dont voici trois exemples choisis.
«L’économie informelle du Congo», de Moses Sawasawa
Hommes, femmes et enfants amassés, c’est littéralement une marée humaine qui sature le cadre, laissant tout au plus apparaître les rives du lac Kivu en arrière-plan. Le 2 avril est un jour de marché à Kituku qui bat son plein. La veille, pourtant, le premier cas de Covid-19 a été diagnostiqué à Goma. Une semaine auparavant, le Congo a déclaré l’état d’urgence ; la capitale, Kinshasa, a été confinée et le pays a fermé ses frontières. Aussi, le cliché en question pourrait-il inciter à qualifier la populace de totalement irresponsable. Mais le photographe indépendant, Moses Sawasawa, cofondateur du collectif Goma oeil, qui entend promouvoir une «représentation positive» de son pays, avance une explication autrement prosaïque : la Banque mondiale évalue à 80% le nombre de travailleurs urbains engagés dans l’économie informelle au Congo et la Confédération syndicale congolaise estime, pour sa part, que le secteur emploie 97,5 % des actifs du pays. Traduction : dans l’inconfort chronique d’une contrée où beaucoup bidouillent au jour le jour, sans protection sociale, aller au marché pour y glaner quelque pitance n’est rien moins qu’une question vitale. Au risque d’y laisser sa santé.
«Goma dans l’obscurité», d’Arlette Bashizi
Devoir rester enfermé chez soi, comme beaucoup en ont fait l’expérience, n’est pas une sinécure. Encore moins quand on est privé de lumière. Au Congo, pays qui possède un des taux d’électrification les plus bas au monde, les infrastructures énergétiques sont en piteux état et le black-out, monnaie courante. Pourtant, aucun misérabilisme n’émane des photos d’Arlette Bashizi. Egalement membre de Goma oeil, la jeune photographe documente une sphère domestique où, entre un père charpentier et une mère marchande de chaussures réduits à l’inactivité, cohabitent sept enfants. Parmi lesquels sa petite soeur de 13 ans qui, résiliente avant l’heure, étudie les maths stylo en main, éclairée par le téléphone portable maternel, pas encore tombé en carafe, dans l’espoir de devenir un jour «femme d’affaires». Un sujet à rapprocher de celui du photographe et blogueur, Justin Makangara, autre chronique pénombreuse d’un quotidien au bord du gouffre.
«Les danseurs clandestins de Goma», de Bernadette Vivuya
Au monde français de la culture qui, non sans raison, flippe pour son avenir, on conseillera la minividéo de la journaliste Bernadette Vivuya. Sur une dalle de béton, face à un mur surmonté de fils barbelés, trois hommes s’entraînent, car ils ne savent ni ne veulent rien faire d’autre. Ce sont les membres de l’Amka Dance Project qui, à défaut de pouvoir exister sur scène, continuent de répéter en jouant à cache-cache avec les autorités. «Si Dieu nous aide à mettre fin à cette crise, nous avons prévu des spectacles très intéressants» promet Moses Ramazani, un des trois artistes. A bon entendeur…
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