Libération

On y croit / Yung Lean

Sur «Starz», le Suédois devenu l’un des chefs de file du cloud rap habille ses textes dépressifs de riffs distordus.

- Maxime Delcourt

Cela fait maintenant sept ans que le Suédois Yung Lean, développe une autre forme de rap, plus désabusé, plus vaporeux. Précoce – il a débuté à 16 ans avec le groupe Hasch Boys avant de poursuivre en solo–, il porte en lui la marque des poètes torturés: tout, dans ses production­s comme dans son flow ou ses airs de fossoyeur déprimé, trahit un rapport ambigu à l’existence. On le dit dépressif. A l’écoute de Miami Ultras, où il s’observe creusant sa propre tombe, on l’imagine rongé par le spleen. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de profondéme­nt tourmenté dans ses morceaux, qui se refusent à l’hédonisme et sem- blent n’avoir jamais vu le soleil. L’époque s’y prête: de Space- GhostPurrp à Lil B, le rap accueille un tas d’ar- tistes aux pensées noircies, biberonnés aux vidéos YouTube et foncièreme­nt hybrides dans leur démarche. On les a même regroupés sous une même étiquette : le cloud rap. Consciemme­nt ou non, Yung Lean joue un rôle essentiel dans la démocratis­ation de ce dérivé du hip-hop. Comme en témoigne la hype dont il jouit aux Etats-Unis (au point d’être invité par Frank Ocean sur Blonde), l’adhésion totale des ados, qui trouvent dans son verbe maudit un écho à leurs pensées moroses, et tous ces artistes apparus dans son sillage ces dernières années – Post Malone, notamment.

Sur le fond, Starz ressasse inlassable­ment les mêmes thèmes: à chaque morceau, le sad boy (pseudonyme qu’il s’est lui-même donné) évoque ses actes autodestru­cteurs, son rapport à la drogue et son envie d’une vie meilleure. Sur la forme, en revanche, Yung Lean a l’intelligen­ce de se détacher de la musique de ses débuts : elle reste aussi sombre dans son écriture que prodigieus­e d’un point de vue mélodique, mais s’ouvre dans ce quatrième album à des sonorités héritées du postpunk et du shoegaze, tout en riffs distordus et en arrangemen­ts sophistiqu­és – à l’exception de l’ultime Put Me in a Spell, simplement accompagné d’un piano. Il a aussi eu la bonne idée d’inviter le fantasque musicien punk-pop Ariel Pink le temps d’un titre. En découvrant Starz, on songe un temps à une version emo-rap de Radiohead, mais on réalise surtout le talent singulier de Yung Lean, symbole d’une génération désorienté­e, abandonnée à la mélancolie et à l’effroi.

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Yung Lean Starz (Kobalt/Awal)

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