Libération

Romans

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Saphia Azzeddine Mon père en doute encore Stock, 200 pp., 19 € (ebook : 13,99 €).

«Mon père est un conteur. Il ne sait pas synthétise­r.» Il emprunte tant de détours pour citer une anecdote qu’il en devient hilarant. Il a une autre manie: prolonger une conversati­on une fois qu’il n’y a plus personne pour la partager. Dans un livre à la constructi­on chaotique et donc sympathiqu­e, la romancière et scénariste Saphia Azzeddine, née au Maroc en 1979, raconte la vie de son père et dépeint sa personnali­té. Orphelin très tôt, il ne s’est soumis à aucune autorité et certaineme­nt pas à celle de Dieu. Il ne faisait pas de politique mais refusait la corruption que proposaien­t les policiers aux commerçant­s dont il faisait partie. Il a un «côté Kadhafi». Autoritair­e, féministe, élégant, couturier comme son épouse, toujours désolé de ne pas gagner davantage d’argent, il apprit à sa fille à ne jamais se trouver démunie face à un homme qui pourrait lui lancer alors : «Ta gueule, c’est moi qui paie!» Autodidact­e, il admire ceux qui maîtrisent les mots et manifesten­t «un sang-froid à toute épreuve […]. C’était tout le contraire de ce qu’était mon père». V.B.-L.

Frédérique Berthet Never(s) P.O.L, 208 pp., 16 € (ebook : 11,99 €).

Une grand-mère «qui fait des écritures», une valise confiée avant de mourir pleine de lettres attachées en paquets par des rubans: voilà l’amorce de ce roman, récit d’une vie minuscule par petite-fille interposée. «Mais doucement Petite, ne va pas si vite, on n’en est pas encore là.» Frédérique réveille la voix de cette mamie épistolièr­e, qui était la sienne, reconstitu­e les débuts de sa vie conjugale. Etiennette est à Casablanca, puis à Saint-Benindes Bois, près de Nevers. Toute jeune mariée, elle a été séparée de son Georges, parti combattre les troupes allemandes, puis embarqué dans la guerre d’Indochine pour une durée indétermin­ée. L’attente, les retrouvail­les, des considérat­ions sur la géopolitiq­ue, les soucis et les joies qu’apportent les enfants, la peur de n’avoir pas assez coupé de bois pour l’hiver lors d’une permission… Ecrire, des deux côtés, est le carburant de cette histoire d’amour née dans une époque sombre. F.F.

Xavier Houssin L’Officier de fortune Grasset, 142 pp., 15 € (ebook : 10,99 €).

Le monologue d’un officier de carrière, ancien de la France libre, retraité en 1960. Il a été heureux parfois, au gré de ses affectatio­ns, Afrique du nord, Indochine, Pacifique Sud. Veuf d’une femme qui le détestait et qu’il n’a pas osé quitter, il cherche à renouer avec celle qu’il aimait. Elle enseignait les mathématiq­ues, elle l’a suivi de poste en poste, ils ont vécu dans une douce clandestin­ité. Ils se sont séparés parce qu’il n’a pas eu le courage de choisir. Ils ont eu un garçon, qu’il a reconnu mais ne connaît pas encore.

Celui-ci a 18 ans, de la graine d’intellectu­el poète, de rêveur et de rebelle comme on en rencontre dans les années 70. Parviendro­nt-ils à déjouer la fatalité, à réparer, à réconcilie­r la longue lignée de pères mutiques qui constitue leur famille ? Avec une tristesse résignée, comme à mi-voix, le narrateur conte ses échecs depuis le pavillon de banlieue dont il s’échappera peut-être. «J’ai eu de suite cet endroit en horreur. Cela fait quand même presque quinze ans que j’y vis maintenant.» cl.d.

Marie Maher Pour la beauté du geste Alma, 118 pp., 15 €.

Les yeux secs, une femme vient enterrer son père, il rejoint au cimetière l’épouse qui l’a précédé de peu. A deux cents kilomètres de Paris, c’est une petite ville où les trains à grande vitesse ne s’arrêtent pas. On les entend de la maison qu’il faut à présent nettoyer, fermer et vendre. La narratrice avance et recule, fait la navette entre son enfance solitaire et le jour où son père s’est tué, entre les gestes de naguère qu’elle retrouve et l’allure qu’elle a aujourd’hui, entre les insultes du père qui gueule et la morgue. Elle était là, dans le jardin, au moment de l’accident. Elle ne l’a pas sauvé. Premier roman. cl.d.

Melvin Van Peebles Un Américain en enfer. Un conte populaire Traduit de l’anglais par Frédéric Brument, Wombat «Les Insensés», 240 pp., 22 €.

Wombat avait déjà publié les chroniques Hara-Kiri (le Chinois du XIVe) de l’Américain Melvin Van Peebles, toucheà-tout brillant, peintre, réaliBerth­et sateur, acteur, musicien, écrivain, qui vit à New York et est âgé de 87 ans. Voilà qu’il retraduit un roman satirique paru dans les années 80 aux Etats-Unis après avoir été prépublié dans le magazine Playboy. Il s’agit d’une fable loufoque et acide sur le racisme, menée à gros traits. A 27 ans, George Abraham Carver, un Noir qui n’a vraiment pas eu de chance dans sa courte existence, condamné à plusieurs reprises pour des faits qu’il n’a pas commis, finit par être tué en prison dans l’éboulement d’une carrière. Les cieux ne sont pas plus cléments, et il se retrouve en enfer. Avec Dave, un ami blanc scalpé par les Indiens, ils sont envoyés dans l’Amérique de 1938. «A présent que tout était fini, Abe se sentait soulagé. Si la démocratie avait trahi ses idéaux, ce n’était plus son fardeau. Il envisageai­t même avec impatience de retourner en enfer.» F.Rl

Manu Joseph Miss Laila armée jusqu’aux dents Traduit de l’anglais (Inde) par Bernard Turle. Philippe Rey, 222 pp., 19 €.

Des nationalis­tes hindous très agressifs, dont le parti vient de remporter les élections, s’en prennent aux musulmans, aux femmes, à tous ceux qu’ils considèren­t comme des êtres inférieurs. Une étudiante délurée, fille de la bourgeoisi­e, se rend célèbre avec ses canulars filmés où elle piège des célébrités : «Ses victimes sont de riches marxistes, socialiste­s ou écologiste­s, quiconque, en fait, mange de la salade en Inde.» Mais la voici en train de ramper pour tenter de sauver un type coincé sous les éboulis. Il dit qu’un attentat va avoir lieu. Nous en suivons les protagonis­tes, l’occasion de rencontrer la valeureuse Laila du titre, qui, à 19 ans, tient sa nombreuse famille à bout de bras. Un immeuble s’écroule à Mumbai, et c’est toute la société indienne que l’auteur secoue, avec audace, verve et générosité. Le précédent roman de Manu Joseph, le Bonheur illicite des autres, est paru en poche chez le même éditeur. cl.d.

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