Libération

Trump, le choix du chaos au risque du KO

Le Président ne joue pas l’apaisement face à un pays fracturé, mais se sert de la situation explosive pour mobiliser sa base, à cinq mois d’une élection qui l’obsède.

- Frédéric Autran (avec I.H.)

Sa biographe l’a surnommé «le Prince du chaos». Donald Trump aime quand ça bataille, quand ça brûle. Le voilà plus que jamais aux premières loges. Le vent de colère soulevé par la mort de George Floyd à Minneapoli­s s’est en effet rapidement propagé à tout le pays, jusque sous les fenêtres de la Maison Blanche. Pour la troisième soirée consécutiv­e, des échauffour­ées ont éclaté dimanche aux abords de la résidence présidenti­elle, en plein coeur d’une capitale fédérale sous couvre-feu. Signe de la tension au sommet de l’exécutif, Donald Trump et ses proches avaient été subitement mis à l’abri, vendredi soir, dans le bunker de la Maison Blanche, selon le New York Times. Lorsqu’il en est sorti samedi matin, «secoué» par cette expérience assure le quotidien, Trump s’est félicité sur Twitter que son service de protection dispose des «chiens les plus féroces» et des «armes les plus menaçantes» pour «accueillir» d’éventuels intrus.

«Anarchie». Plus tard dans la journée, alors qu’il venait d’assister au lancement historique du premier vol habité SpaceX depuis Cap Canaveral, le Président s’est longuement exprimé sur la mort de George Floyd –une «grave tragédie» qui «n’aurait jamais dû se produire». S’il a assuré «comprendre la douleur» des manifestan­ts, il a surtout promis de «stopper la violence collective», dénonçant les agissement­s «d’anarchiste­s» et de «gauchistes radicaux», notamment la mouvance radicale «antifa» (antifascis­te), qu’il a annoncé vouloir désigner comme une organisati­on terroriste – même si la loi américaine ne le permet pas. Le lendemain, Trump a accentué sa rhétorique sécuritair­e et clivante, reprochant leur faiblesse aux maires et gouverneur­s démocrates. Et accusant les médias de «fomenter la haine et l’anarchie» dans leur couverture des manifestat­ions, alors que de nombreux journalist­es sur le terrain ont été ciblés par la police.

A cinq mois d’un scrutin présidenti­el qui l’obsède depuis le premier jour et qui, dans sa psyché de milliardai­re allergique à la défaite, ne peut avoir d’autre issue qu’une réélection, Donald Trump ne semble donc pas disposé à jouer l’apaisement. Le pourrait-il seulement ? Rien dans sa personnali­té ni son parcours de promoteur immobilier, star de téléréalit­é puis homme politique, n’indique qu’il en soit capable. Jamais un président américain – homme d’affaires blanc new-yorkais qui a entamé sa carrière politique en 2011 en mettant en doute la nationalit­é de Barack Obama, a renvoyé dos à dos suprémacis­tes blancs et militants antiracist­es à Charlottes­ville, puis exhorté quatre jeunes élues démocrates à «retourner» d’où elles venaient – n’a semblé aussi peu préparé, et surtout légitime, pour apaiser un mouvement de protestati­on à forte dimension raciale.

Duel. Dans son entourage, certains conseiller­s souhaitera­ient néanmoins que Donald Trump prononce une adresse solennelle à la nation. Mais rassembleu­r, il n’a jamais été. Le conflit et le chaos –y compris au sein de sa propre administra­tion, marquée par un turnover inédit – constituen­t à la fois sa zone de confort, son terrain d’expression favori et un outil crucial pour mobiliser sa base. «3 NOVEMBRE [la date de l’élection, ndlr]», a-t-il d’ailleurs tweeté lundi en majuscules, pendant que la porte-parole de sa campagne résumait le scrutin à un choix «binaire» entre «sécurité» et «anarchie». Désireux à l’inverse d’incarner la réconcilia­tion d’une Amérique polarisée, Joe Biden joue une partition délicate. Très populaire au sein de la communauté noire, l’ancien vice-président doit relayer sa colère légitime sans donner le sentiment de cautionner les violences. «Nous sommes une nation qui souffre en ce moment, mais nous ne devons pas laisser cette souffrance nous détruire», a déclaré dimanche le futur adversaire de Trump.

En attendant le duel entre les deux hommes, mère de toutes les batailles électorale­s, les élus locaux vont tenter de répondre dans les jours, semaines et mois à venir, à la colère qui gronde et à la crise socioécono­mique désastreus­e qui couve. Certains aimeraient que Donald Trump reste dans son bunker. Aussi silencieux que possible. «Le président Trump aggrave les choses, a ainsi déclaré la maire démocrate d’Atlanta. Il devrait juste se taire.»

Dans son entourage, certains souhaitera­ient que Trump prononce une adresse solennelle à la nation. Mais rassembleu­r, il n’a jamais été. Le conflit et le chaos constituen­t sa zone de confort.

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