Galeries: sessions de rattrapage dans le Marais
Rétrospective de Hassan Sharif, «père» de l’art conceptuel dans le Golfe, journal intime brodé de Billie Zangewa, originaire du Malawi, et peintures bravaches de la Finlandaise Anna Tuori.
Elles avaient ouvert peu avant le confinement et sont restées sagement accrochées deux mois. Heureusement, ces trois belles expos ont été prolongées, et il reste encore un peu de temps pour les visiter.
par le biais des médias
Reprendre la main sur le flot délirant d’informations, le plaquer au sol et l’immobiliser. Voilà à quoi on aurait dû employer son confinement ! Mais Hassan Sharif (19512016), «père» de l’art conceptuel dans le Golfe, y avait pensé avant nous. Dans la grande salle de la galerie GB Agency, à Paris, trône une accumulation rectangulaire de 703 journaux, Press Conference n°2, soigneusement emballés dans des noeuds de toutes les couleurs. Le Dubaïote d’origine iranienne aimait nouer, détourner, tordre et tisser, s’emparant d’objets usuels en circulation dans le commerce, cuillères, gamelles métalliques, mouchoirs de papier, pour les amalgamer et les détourner. Les oeuvres hyperpréhensibles et tout à fait inutilisables qui en résultent sont fascinantes, évoquant en creux des mains agiles et insatiables. Hassan Sharif avait commencé comme caricaturiste, et dans ses toiles, la critique de la société de consommation et des médias est encore plus criante – voir la grimaçante Press Conference n°5, ou Economic Crisis, au coeur de laquelle un énorme estomac semble recracher des cancrelats. La visite de l’expo se fait sur rendezvous ; l’on ne saurait dire combien l’accueil est attentif et généreux.
Hassan Sharif, From Daily Experience to Collective Stories jusqu’au 6 juin à la galerie GB Agency, 75003.
sa vie devant soie
Il y a du journal intime dans le travail de Billie Zangewa, dont les oeuvres brodées sont exposées à la galerie Templon à Paris. Non seulement parce que l’artiste figure souvent dans ses compositions, élancée et cheveux courts, mais aussi parce que leur sujet tient de l’annotation quotidienne – le cours de natation de son fils, assis esseulé au bord de la piscine ; le café du matin pris adossée au comptoir de la cuisine; le trajet pour l’école dans le superbe Soldier of Love. Sur un fond de soie sauvage rose se découpent des palmiers émeraude et leurs deux silhouettes – le garçon regardant vers le sol, la mère lui tirant gentiment le bras. Les reliefs, les effets picturaux sont créés grâce aux découpages et variations tonales de la soie ; dans certaines broderies, celle-ci est déchirée, signalant le manque ou la peine.
Née en 1973 au Malawi, l’artiste vit et travaille à Johannesburg. En contemplant son travail, ses intérieurs nickel, l’expérience d’une maternité feutrée où l’amour bruit en sourdine, on pense fugacement à certains films de Todd Haynes. Les oeuvres de Billie Zangewa déclarent aussi, mais en mode apaisé, que ces petits riens d’une vie de femme et de mère ne sont pas indignes d’intérêt. Billie Zangewa
Soldier of love jusqu’au 6 juin à la galerie Templon, 75003.
shopping à marche forcée
Dans les énergiques peintures d’Anna Tuori, aux traits déliés et impertinents, ornées parfois de petits tortillons ou de gribouillis, il y a des filles pleines de morgue et d’insouciance. Souvent cul par-dessus tête ou une clope à la main, elles peuvent avoir trois jambes et une absence de tête. Elles «marchent» – la série s’appelle «Walkers»– mais semblent surtout shooter dans des trucs, notamment des sacs de shopping, dans un éclat de rire d’autant plus communicatif qu’il s’inscrit sur fond de bleus qui claquent et de roses poudrés. Pour sa deuxième expo à la galerie Suzanne Tarasiève, à Paris, la Finlandaise passée par les Beaux-Arts de Paris déploie avec maîtrise un univers alerte et joyeux, mi-Alice mi-Chapelier fou, extrêmement revigorant.
Anna Tuori Never Seen a Bag ExplodinG jusqu’au 6 juin à la galerie Suzanne Tarasiève, 75003.