Libération

«S’unir permet de recréer du clivage»

Pour la politologu­e Virginie Martin, le rassemblem­ent est nécessaire afin de pouvoir peser lors de l’élection présidenti­elle.

- Recueilli par Nicolas Massol

Selon la politologu­e Virginie Martin, l’union des gauches aux municipale­s permet de remettre le clivage gauche-droite au centre du paysage politique. Et ainsi espérer peser en 2022 face à Emmanuel Macron.

La gauche peut-elle reconquéri­r le pouvoir en passant par le bas? C’est sa seule chance. Emmanuel Macron se fout complèteme­nt de l’ancrage territoria­l. Là-dessus, LREM est un échec complet, la gauche a donc une carte à jouer. Mais pour cela, il faut qu’elle s’unisse, car aucune force ne peut prendre le leadership et entraîner derrière elle les électeurs. Comme après la guerre froide, on est passé d’un monde bipolaire à un monde multipolai­re, avec Emmanuel Macron le paysage politique à gauche est devenu multipolai­re… Aujourd’hui, EE-LV a le vent en poupe, mais La France insoumise a fait 20% à la dernière présidenti­elle, quant au PS et au PCF, ils sont à la traîne en ce moment mais ils sont enracinés localement. En fait, l’union permettrai­t de pallier les faiblesses des uns et des autres. A condition qu’elle se fasse jusqu’au bout de l’arc-en-ciel : du PS à LFI.

Mais cela revient à politiser un scrutin municipal qui concerne des enjeux purement locaux… La politisati­on des municipale­s s’est toujours faite. C’est l’occasion de nouer des alliances thématique­s et de cristallis­er à nouveau un clivage gauche-droite qui a été gommé en 2017 avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Regardez à Marseille ce qu’il se passe : l’union de la gauche, de La France insoumise au PS, fait pousser des cris d’orfraie à la droite, qui parle de «péril rouge» ! En s’unissant tout entière, la gauche recrée du clivage, et donc fait de la politique. C’est sa chance, car l’espace est saturé par l’espèce de parti unique qu’est LREM. Pour redistribu­er le paysage politique en vue de la présidenti­elle de 2022, il faut créer une digue entre son camp et Emmanuel Macron. C’est ce qu’a très bien compris la droite. Même si localement des alliances peuvent exister entre LREM et Les Républicai­ns, sur le fond ces derniers sont souvent plus clairs que la gauche sur leur opposition à Macron. Ils savent que c’est la condition sine qua non pour jouer un rôle majeur en 2022. Pourtant, les gauches sont elles aussi dans l’opposition…

Oui, mais sur le fond c’est plus flou. Il y a des personnali­tés du PS comme d’EE-LV qui jouent le registre Macron-compatible. Yannick Jadot refuse de dire qu’il s’oppose à Emmanuel Macron, par exemple. Et les think tanks qui gravitent autour du PS, comme la Fondation Jean-Jaurès ou Terra Nova, sont aujourd’hui tous au service d’Emmanuel Macron – même s’ils sont toujours réputés proches du PS. Donc ils font du politiquem­ent correct. Or, pour que le bloc des gauches soit possible, il faut qu’une digue, je le répète, soit tracée très clairement entre la gauche et Macron.

L’union de la gauche dans plusieurs grandes villes pour ces élections municipale­s est donc un signal pour 2022 ?

Une chose est certaine : si la gauche rate cette marche, elle sera exsangue pour aborder la présidenti­elle. On n’y pense pas forcément, mais les municipale­s, ce sont des élus, donc de l’argent. Alors que LREM a engrangé plusieurs millions au lendemain de sa victoire en 2017, le PS a dû quitter Solférino. Aux européenne­s, le scrutin permet d’y aller de façon séparée, en espérant chacun gagner quelques députés. Là, ce n’est plus possible. D’autant que sur le fond, les différence­s ne sont pas énormes au niveau local: sur l’écologie, le social, l’idée que la ville doit être un espace inclusif et non d’exclusion, tous les partis de gauche se rejoignent. Ils ont le même logiciel.

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