Universités, grandes écoles : des examens sous contrôle
Les établissements scolaires du supérieur ont recours à des logiciels de télésurveillance pour organiser les épreuves de fin d’année. Parfois à la limite de la légalité.
Quand Léa a appris que ses examens seraient télésurveillés, elle ne savait pas exactement ce que cela impliquerait. Pendant le premier partiel passé avec TestWe, elle a remarqué que la caméra de son ordinateur était allumée. «Certains étudiants ont fouillé dans les fichiers du logiciel et ont découvert qu’on était pris en photo», rapporte l’étudiante, mal à l’aise. «On ne sait pas si un surveillant nous observe, s’il y a un système de détection du regard ou si le son est lui aussi activé. On est dans le flou», déplore une autre étudiante dont l’école de commerce utilise WiseFlow. La singularité de ce logiciel ? Il dispose d’un système qui bloque toutes les autres applications pendant l’examen. Les deux étudiantes ne sont pas seules à s’alarmer d’un manque d’information sur le fonctionnement de ces dispositifs : beaucoup s’inquiètent pour leurs données personnelles.
Reconnaissance faciale. Dans toute la France, les établissements de l’enseignement supérieur ont dû trouver, en peu de temps, des solutions pour faire passer leurs examens à distance. Un certain nombre se sont tournés vers des logiciels de télésurveillance. D’après Benoît Sillard, président de TestWe, l’une des entreprises leaders du secteur en France, plus d’une centaine d’établissements français font désormais appel à ses services. Une fois installés, des logiciels prennent le contrôle des ordinateurs des étudiants, certains les filment à la fois sur leur ordinateur et leur téléphone, tandis que d’autres se contentent de les prendre en photo. Le ministère de l’Enseignement supérieur a lui-même donné des conseils pour faire appel à ces prestataires, dans une circulaire du 27 mars. On y trouve le nom de six entreprises, dont TestWe, leurs tarifs et un descriptif des services proposés.
Leur mise en place est loin de faire l’unanimité auprès du corps enseignant. Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en sciences de l’information à l’université de Nantes, s’oppose ainsi farouchement à l’utilisation de ces logiciels par les universités. Il dénonce «un côté très orwellien, où des sociétés privées filment les étudiants chez eux», et une inégalité de chances pour les étudiants qui n’ont que peu ou pas du tout accès à Internet, bien que les établissements mettent en place des aides. Il pointe également du doigt les coûts de ces solutions, d’1 euro de l’heure par étudiant à 17 euros pour un examen. Olivier Ertzscheid met aussi en garde contre le recours à ces prestataires pour noter les examens. Il redoute que les universités perdent la capacité d’évaluer leurs propres formations.
Dans un rappel des bonnes pratiques à destination des établissements d’enseignement supérieur, publié le 20 mai, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) assure que certains de ces logiciels ne semblent pas conformes au règlement général pour la protection des données (RGPD). Il en va ainsi de ceux qui prennent le contrôle des ordinateurs des étudiants et qui traitent des données biométriques – en utilisant, par exemple, la reconnaissance faciale. La surveillance vidéo en temps réel et la prise de photos n’apparaissent en revanche pas disproportionnées pour la Cnil (lire page 10). «Notre système est parfaitement conforme à la réglementation», avance le président de TestWe, Benoît Sillard. Son logiciel se contente de prendre en photo les étudiants à plusieurs reprises pendant l’examen. Mais pour Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés sur Internet, «le manque d’informations suffit à rendre ces dispositifs illégaux».
«Inquiétudes». A Lille, le syndicat Solidaires étudiant·e·s a donc déposé le 30 avril un recours en référé devant le tribunal administratif. «Les étudiants sont face à un faux choix: soit ils acceptent d’installer ces logiciels soit ils ne valident pas leur année», s’alarme Amélia, l’une des militantes à l’origine de cette demande de suspension d’un tel logiciel. A Rennes, une pétition du syndicat FSE a récolté plus de 800 signatures. «C’est la première fois qu’une de nos actions fait autant consensus», admet Hugo Colomby, son secrétaire général. Jusqu’à faire reculer l’université Rennes-I, qui a finalement renoncé à la télésurveillance de la grande majorité des examens. Même des élèves d’HEC, où il n’existe aucun syndicat étudiant, ont fustigé dans une pétition lancée le 11 mai l’utilisation d’un logiciel de télésurveillance pendant leurs examens, obligeant l’école à les repousser. Pourtant, au sein de l’université de Caen, où l’on utilise ces logiciels depuis 2018 pour les licences par correspondance, la grande majorité des étudiants qui habitent loin de la fac ou qui ne peuvent pas se déplacer seraient séduits par cette solution. Mais «la télésurveillance n’est pas tout le temps nécessaire et elle n’est possible que lorsque l’on est bien préparé», prévient cependant Pierre Beust, en charge des transformations pédagogiques de l’université normande. «On propose une nouvelle façon de passer des examens : logique qu’il y ait des inquiétudes, tente de tempérer Benoît Sillard, de TestWe. Mais lorsqu’il n’y a pas de contrôle, la triche est généralisée et le diplôme perd de sa valeur.» Et d’assurer que son logiciel ne fait que reproduire les conditions de travail dans une salle d’examen.
En attendant, certains étudiants ont déjà trouvé comment déjouer la surveillance de ces logiciels. «La caméra ne filme que nos visages, alors on ouvre un document partagé sur nos téléphones et on se donne les réponses, avoue Léa, étudiante en école de commerce. Le logiciel ne nous empêche pas de tricher.» Comme dans une vraie salle d’examen finalement.