Libération

«L’employeur doit veiller au respect de la vie privée de ses employés»

Le secrétaire général adjoint de la Cnil, Gwendal Le Grand, revient sur le cadre légal de télésurvei­llance des travailleu­rs et des étudiants en examens.

- Recueilli par Philippine Kauffmann

Gwendal Le Grand est secrétaire général adjoint de la Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés (Cnil). Entretien.

Pendant le télétravai­l, les employés sont surveillés. Jusqu’où ont le droit d’aller les entreprise­s ?

Il n’est pas interdit à un employeur de contrôler et de limiter l’utilisatio­n d’Internet par ses employés, par exemple en utilisant le filtrage de sites ou la détection de virus. Mais il y a des limites à respecter. Les systèmes de keyloggers – qui permettent d’enregistre­r à distance toutes les actions faites sur un ordinateur – sont en général hors limites. L’employeur ne peut pas non plus recevoir de copie automatiqu­e de tous les messages écrits ou reçus, ou conserver indéfinime­nt les journaux de connexion. Avec la généralisa­tion du télétravai­l, de nouvelles inquiétude­s pour la protection des données ont-elles émergé ?

On observe une amplificat­ion de l’usage d’un certain nombre d’outils numériques et un recours massif à tous les outils de travail à distance, de visioconfé­rence, de partage de documents, d’utilisatio­n de VPN. De nombreuses entreprise­s n’étaient pas prêtes. Sur le moyen terme, il y aura probableme­nt une évolution des méthodes de travail et de management. La crise sanitaire a mis en évidence la dépendance des entreprise­s aux outils informatiq­ues. Et certains soulèvent des interrogat­ions sur la protection des données personnell­es. Un employeur peut-il contrôler le matériel personnel d’un employé qui se connecte au réseau de l’entreprise ?

Le Bring Your Own Device (BYOD) désigne l’usage d’équipement­s informatiq­ues personnels dans un contexte profession­nel. L’employeur peut l’interdire ou l’autoriser sous conditions. Il faut tenir compte des intérêts et des inconvénie­nts car cet usage brouille la frontière entre vie personnell­e et vie profession­nelle. S’il autorise le BYOD, l’employeur doit veiller au respect de la vie privée de ses employés. Il n’est ainsi pas possible de prévoir des mesures de sécurité – comme interdire la navigation sur Internet ou le télécharge­ment d’applicatio­ns mobiles– qui peuvent entraver l’utilisatio­n d’un smartphone dans un cadre privé. De la même manière, l’employeur ne peut pas accéder à des éléments relevant de la vie privée stockés dans l’espace personnel de l’équipement (liste des sites internet consultés, photos, films, agenda, annuaire). Mais il doit pouvoir accéder au contenu profession­nel stocké dans ce terminal. Des logiciels de télésurvei­llance des examens font également leur entrée dans les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur. Comment fonctionne­nt-ils ? Différente­s technologi­es sont utilisées par ces systèmes : vidéo continue ou prise de photograph­ies aléatoires ; télésurvei­llance en temps réel ou a posteriori, avec ou sans recours à des algorithme­s de détection de la fraude; utilisatio­n d’un outil permettant à un superviseu­r de prendre la main à distance sur l’ordinateur de l’étudiant afin de surveiller l’activité de celui-ci pendant la réalisatio­n de l’examen, notamment en vérifiant l’accès aux boîtes mail et réseaux sociaux, etc. Quel est le cadre légal à respecter ?

Ces systèmes de surveillan­ce d’examens à distance traitent des données personnell­es, quelles que soient les technologi­es utilisées. Ils sont donc soumis au règlement général sur la protection des données (RGPD) et à la loi informatiq­ue et libertés. Conforméme­nt au RGPD, il faut d’abord déterminer une base légale à leur utilisatio­n, comme l’exécution d’une mission d’intérêt public, qui peut être utilisée par les université­s ou les établissem­ents privés d’enseigneme­nt supérieur. A cet égard, le choix de dématérial­iser la validation des enseigneme­nts doit en principe être arrêté en début d’année par chaque établissem­ent. Néanmoins, au regard de l’état d’urgence sanitaire, il est possible de modifier cette modalité jusqu’à deux semaines avant le début des épreuves.

Ce sont les seules contrainte­s ?

Non, il faut ensuite définir une finalité: les informatio­ns des étudiants ne peuvent être traitées et utilisées que dans un but précis, légal, légitime et défini à l’avance. Ensuite, en accord avec le principe de proportion­nalité, s’il existe des moyens de surveillan­ce moins intrusifs, il faut les privilégie­r. Il peut aussi y avoir une obligation de réaliser une analyse d’impact pour montrer que l’établissem­ent a compris et traité les risques, notamment en cas de recours à une technologi­e innovante. La conservati­on des données doit être limitée dans le temps et celles-ci doivent être sécurisées. Enfin, les étudiants doivent être informés de manière claire et complète au moment du recueil des données.

La Cnil a déterminé que certains logiciels de télésurvei­llance ne semblaient pas suivre le principe de proportion­nalité… Les dispositif­s qui permettent de prendre le contrôle, à distance, de l’ordinateur pour vérifier les mails et les réseaux sociaux, ainsi que ceux qui reposent sur le traitement de données biométriqu­es semblent, par principe, disproport­ionnés. Les clichés sont suffisants et moins intrusifs que la reconnaiss­ance faciale. D’autres, comme la surveillan­ce en temps réel, n’apparaisse­nt pas disproport­ionnés, car dans une salle d’examenles étudiants sont aussi observés par un surveillan­t. S’il est nécessaire de se prononcer sur le respect des règles, la Cnil examinera ces outils au cas par cas.

Quels sont les recours disponible­s si un établissem­ent ou une entreprise ne respecte pas les réglementa­tions ?

Il y a la possibilit­é pour un citoyen de déposer une plainte auprès de la Cnil, qui peut donner lieu à des contrôles et, dans certains cas, à des mises en demeure ou à des sanctions.

 ?? Photo Jérôme Leblois. hans Lucas ?? Avec le télétravai­l, des salariés ont dû faire face à une surveillan­ce accrue.
Photo Jérôme Leblois. hans Lucas Avec le télétravai­l, des salariés ont dû faire face à une surveillan­ce accrue.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France