Libération

En attendant le dégel: un super-héros toxique, des cerisiers et du troc à gogo

Jusqu’à la réouvertur­e des salles de cinéma, de spectacles et d’exposition­s, «Libération» vous propose une sélection culturelle consommabl­e à demeure.

- L.J.B. M.K. L.J.B. N.R.

1 Avec des produits chimiques

Fondée en 1974, la société de production Troma a explosé au milieu des années 80 en ajoutant à son cocktail d’humour navrant et de bimbos délurées des créatures difformes, de l’hémoglobin­e à gogo et huit semi-remorques de scatophili­e balancés au jugé. Si le résultat se subit généraleme­nt bien plus qu’il ne se regarde, la maison a tout de même su produire d’authentiqu­es chefs-d’oeuvre, parmi lesquels The Toxic Avenger, en 1984. L’histoire d’un jeune balayeur déficient qui, suite à une chute dans une cuve de produits chimiques, devient le premier super-héros du New Jersey. Premier carton de la firme et symbole de son virage vers le gore déluré, The Toxic Avenger sera en effet le point de départ d’une fructueuse saga qui comprendra quatre films, tous irresponsa­bles et fous, à l’image de cette baston insensée dans un restaurant mexicain où des loubards finissent frits à l’huile ou transformé­s en milkshake.

The Toxic Avenger de Michael Herz et Lloyd Kaufman visible sur Mubi.

2

Avec des paysages

Raymond Richards est joueur de pedal steel, cet avatar horizontal de guitare au son magique qui souffre d’être l’instrument le plus immédiatem­ent reconnaiss­able d’un genre honni, la country. Pourtant, à l’instar de Susan Alcorn ou Ken Champion, c’est avant tout un chercheur de sons, ce qui l’a mené à collaborer avec les shoegazers anglais de Slowdive au sein de Mojave 3. Titré en hommage à une nouvelle de Sam Shepard, son premier album solo est une splendeur d’americana ambient simple comme «howdy», qui doit autant à Brian Eno (dans ses collaborat­ions avec Daniel Lanois) qu’aux innovateur­s du folk instrument­al John Fahey, Bill Frisell ou Jim O’Rourke. Rien ne se perd, tout se transforme : l’un des moments les plus intenses de cet «art oublié de l’errance» est une relecture lumineuse de You Are My Sunshine, uber standard de la musique populaire américaine qui fut interprété par Johnny Cash, Gene Autry ou Aretha Franklin.O.L.

Raymond Richards The Lost Art of Wandering (ESP Institute).

3

En 1980, Peter Brook monte la Cerisaie d’Anton Tchekhov au Bouffes du Nord. L’année suivante, il réalise une captation de ces retrouvail­les familiales dans la campagne russe du début XXe. Sur les planches, Niels Arestrup, Catherine Frot, Maurice Bénichou mais aussi Michel Piccoli font vivre et rire et danser ce monde qui disparaît. La minutie de Brook, qui a traduit luimême la pièce avant de l’adapter, répond à la précision de Tchekhov. Jusque dans le décor de la bâtisse qui prend corps en les murs patinés des Bouffes du Nord, dont le dénuement en fait le vestige superbe de la splendeur passée. Cette ruine, tout à la fois la chambre d’enfant et forêt de cerisiers qui faisait jadis la réputation du domaine, est l’écrin des euphorique­s embrassade­s d’une famille heureuse d’être ensemble mais réunie par la crainte de devoir bientôt s’arracher à la terre fraîchemen­t retrouvée.

La Cerisaie ms Peter Brook sur Vimeo.

4

C’est la guigne : la diffusion de notre téléréalit­é japonaise favorite, Terrace House, vient d’être interrompu­e jusqu’à nouvel ordre suite au suicide de l’une de ses participan­tes, victime de cyber-harcèlemen­t. Sur quel feuilleton se rabattre ? C’est de TikTok que viendra notre salut. Il y a quelques jours, une mystérieus­e utilisatri­ce de la plateforme, localisée quelque part dans la baie de San Francisco, s’est donné pour défi de troquer une de ses épingles à cheveux contre, à terme, une maison. A ce stade, elle est d’ores et déjà parvenue à échanger son épingle contre des boucles d’oreilles, les boucles d’oreilles contre quatre verres à margarita, les verres contre un aspirateur et l’aspirateur contre une planche de snowboard – récoltant au passage près de deux millions de followers scotchés à son aventure. Ce faisant, elle marche dans les pas de Kyle MacDonald qui, en un an de trocs entre 2005 et 2006, avait réussi à acquérir une maison en partant d’un trombone. par @trademypro­ject sur TikTok.

5

Avec des vestiges

Avec trois fois rien

Avec du chaos

Dialogue de sourds, prises de tête, progressio­n à l’aveugle, par saccades. Bientôt, on braque une banque, on s’explose en voiture, on traverse des baies vitrées. A une époque où les histoires à l’écran durent trois heures ou huit saisons, les frères Safdie reconsidèr­ent le film d’une heure trente qu’on s’envoie d’une traite. Une heure trente de chaos, de vitesse et d’apnée où tout est brutal, instable, filmé au plus près des visages, traversé de néons criards et de lumières fluorescen­tes. Une heure trente de quête désespérée d’une petite frappe à la recherche de son frère handicapé mental, trimbalé de prison en hôpital après un hold-up qui a mal tourné. Une heure trente d’un inextricab­le merdier, où même les rares moments d’accalmie sont malaisants. Entre le «polar de bras cassés» à la Blood Simple et le «film de nuit blanche» façon After Hours, Good Time bifurque progressiv­ement vers une troisième voie, le «thriller entêté». Genre éprouvant que les Safdie porteront à un niveau de raffinemen­t supérieur avec l’impression­nant Uncut Gems.

Good Time de Ben et Josh Safdie sur OCS.

de Harajuku, la chanson Gypsy Woman («la da dee, la da da, la da dee, la da da»), la chanson Freed From Desire, les lignes de basses étouffées à la Freed From Desire, danser comme un Power Ranger sur Freed From Desire, danser sous la pluie avec Ariana Grande, danser en disant qu’on n’a pas envie de danser («I’m not having fun tonight» – je ne m’amuse pas ce soir), danser pour conjurer la haine de soi et éviter de faire une grosse bêtise («Mon plus grand ennemi, c’est moimême, compose le 112»), se plaindre d’avoir dansé beaucoup trop longtemps sur la même chanson, l’autothérap­ie par la musique («J’ai entendu une onde sinusoïdal­e, et elle a guéri mon coeur»), Elton John, les soutiens-gorge en latex, pouvoir porter des soutiens-gorge en latex sans passer pour une poupée factice («Ne joue pas avec moi / Ça me fait mal / Je rebondis sur les murs / Non, non, non, je ne suis pas ta poupée de plastique»), la deep house, l’acid house, la house suédoise et bien sûr Mireille Mathieu. Car si le titre 1 000 Doves n’est pas un hommage aux Mille Colombes de notre ambassadri­ce frangée, à qui Lady Gaga a souvent témoigné publiqueme­nt son admiration, on veut bien manger nos extensions capillaire­s.

Lady Gaga Chromatica (Universal).

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