Libération

face à la récession la revanche de l’état

Avec un soutien massif aux entreprise­s, le gouverneme­nt consacre la réhabilita­tion de la puissance publique, jadis vue avec méfiance. Un revirement aussi spectacula­ire que les conséquenc­es de la crise sanitaire.

- Par Christophe Alix, Franck Bouaziz, Jean-Christophe Féraud et Coralie Schaub Photo Albert Facelly

Presque 500 milliards d’euros engagés depuis le début de la crise : le gouverneme­nt ne regarde pas à la dépense pour soutenir l’activité. Une réhabilita­tion de la puissance publique en économie, qui ressemble à une conversion express pour le gouverneme­nt.

Plus de vingt ans séparent le «il ne faut pas tout attendre de l’Etat» lâché par Lionel Jospin aux ouvriers de Michelin du «tout sera mis en oeuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprise­s, quoi qu’il en coûte» lancé par Emmanuel Macron le 12 mars 2020. Ce jour-là, face à «la plus grave crise sanitaire depuis un siècle», le président de la République brandit l’Etat comme un bouclier face aux fermetures d’usines et aux destructio­ns d’emplois que menace de provoquer l’arrêt quasi total de l’activité.

Une conversion à l’Etat sauveur en forme de virage sur l’aile de la part d’un président accusé jusque-là de multiplier les cadeaux aux entreprise­s et aux «premiers de cordée», au détriment des services publics et de la collectivi­té. La contradict­ion sera pointée par Arnaud Montebourg, dénonçant dans Libération le «transformi­sme intellectu­el» du vainqueur de la présidenti­elle 2017: «A Bercy, lorsque j’ai proposé des nationalis­ations, Emmanuel Macron expliquait que l’on n’était pas “au Venezuela” et aujourd’hui lui-même propose donc de “faire le Venezuela”…» Mais Nicolas Sarkozy en sait quelque chose pour avoir été à l’Elysée au moment de la débâcle bancaire de 2009 : c’est dans ce clair-obscur d’où surgissent les crises que s’opère toujours le grand retour de l’Etat régalien. Car c’est tout simplement sa raison d’être.

En mobilisant 110 milliards d’euros pour faire face à l’urgence du chômage partiel et voler au secours des secteurs les plus touchés –restaurati­on, tourisme, automobile et tout dernièreme­nt aéronautiq­ue (lire page 4), l’Etat a joué son rôle. A l’opposé du laisser-faire des marchés. Etat pompier, Etat actionnair­e, Etat stratège, Etat plus vert… on mesure à quel point la puissance publique va devoir se démultipli­er au vu des derniers chiffres de la Banque de France : le PIB devrait au moins chuter de 10 % cette année et le chômage s’envoler à un pic historique de 11,5 % l’an prochain.

Le pompier de service

«Ce n’est pas le moment de compter notre soutien et les moyens mis à dispositio­n», avait prévenu Bruno Le Maire au tout début de la crise sanitaire, en mars. Le ministre de l’Economie a tenu parole. Jamais le soutien de l’Etat n’a été aussi massif pour maintenir en vie les entreprise­s et les revenus des Français depuis le début de la pandémie. Avec un total de dépenses engagées estimé entre 400 et 500 milliards d’euros depuis le début de la pandémie (pertes de recettes fiscales, aides directes aux entreprise­s et garanties de prêts), la dépense publique s’est envolée pour pallier l’asphyxie de l’économie de marché au point qu’elle devrait dépasser 60% du PIB à la fin 2020. Sous perfusion publique, l’économie française devrait, quoi qu’en disent certains, le rester longtemps au regard des plans sectoriels qui se multiplien­t et du chômage partiel dont le futur dispositif, certes moins généreux, pourrait s’appliquer durant plus de deux ans en contrepart­ie d’une promesse de maintien dans l’emploi. Un rôle de pompier sauveur en avant-dernier ressort cependant, puisque ces largesses budgétaire­s (11,4 % de déficit budgétaire prévu en 2020 avec une dette publique à 120,9%) ne sont rendues possibles que par la politique monétaire très accommodan­te de la Banque centrale européenne (BCE). Et le gouverneme­nt a beau prévenir que ces montants astronomiq­ues devront bien un jour être remboursés lorsque la croissance sera de retour, de plus en plus de voix, et pas seulement à gauche, s’élèvent pour réclamer une annulation des dettes monétisées par la banque centrale. La BCE détient aujourd’hui plus de 20 % de la dette émise dans la zone euro contre 0 % jusqu’en 2015.

L’état actionnair­e

Et dire qu’il y a six mois encore, la privatisat­ion d’Aéroports de Paris (ADP) était considérée comme incontourn­able et

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Le Premier ministre, Edouard Philippe, le président de la République,

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