La crise sanitaire déclenche la mue de Le Maire
Depuis l’épidémie, les positions du ministre connu pour ses ardeurs libérales se rapprochent de celles du Président.
Bruno Le Maire le reconnaît sans ambages : avec ses dramatiques conséquences économiques, le confinement a bouleversé ses priorités. «Il y a des vertus dans la crise : ça nous ouvre les yeux», affirmait-il la semaine dernière sur France 2. Spectateur amusé, et un brin admiratif, de cette métamorphose, l’un de ses collègues du gouvernement commente «la conversion colbertiste» du ministre de l’Economie et des Finances – où comment décrire la (re)découverte de la puissance publique par un politique d’obédience libérale. «Après trois ans dans l’ombre du président de la République et du Premier ministre, Le Maire connaît son heure de gloire avec une très grosse séquence politique depuis le début de l’épidémie.» A quelques semaines d’un très probable remaniement, cette soudaine visibilité a nourri les spéculations sur les ambitions de ce premier ministrable. L’intéressé jure qu’il trouve largement de quoi s’exprimer et s’épanouir dans son fauteuil de Bercy. Les sondages mesurent les effets de son interventionnisme. Dans l’enquête Elabe pour les Echos du 4 juin, Le Maire est, au côté du ministre de la Santé, Olivier Véran, la troisième personnalité politique préférée des Français. Il gagne 5 points dans le baromètre Viavoice-Libération du mois de juin.
Réaction. Il aura été parmi les premiers à annoncer que la crise imposait des changements considérables. Dès la fin du mois de février, donc avant même qu’il soit question d’état d’urgence sanitaire et de confinement en Europe, il expliquait à son retour du sommet du G20 de Riyad que l’épidémie de Covid-19 était un «game changer dans la mondialisation». Il soulignait «la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d’activités et d’être plus indépendant sur un certain nombre de chaînes de production». Début mars, il prétend que le monde se trouve face à «une crise économique d’une violence sans précédent depuis 1929» et plaide, dans une note au Président, pour une réaction rapide et massive de l’Etat.
Aujourd’hui, le voici maître d’oeuvre d’une série de plans d’urgence sectoriels dont le financement – plus de 40 milliards d’euros– fera l’objet d’un nouveau collectif budgétaire présenté ce mercredi en Conseil des ministres. Après les plans dédiés au tourisme puis à l’automobile, Le Maire a présenté mardi le plan de relance de l’industrie aéronautique (lire page 4). L’ambition est immense : investir pour éviter «tout décrochage» vis-àvis des géants américains et chinois, accélérer «la décarbonation» de cette industrie et faire en sorte que la France soit «le pays d’Europe où se concevront et se produiront les avions de demain».
Promoteur. Colbertiste, Bruno Le Maire ne l’a pas toujours été. En 2016, alors qu’il se lançait dans la primaire de la droite (2,4 %), il se distinguait surtout par ses ardeurs libérales: l’Etat devait se concentrer sur ses missions régaliennes en programmant, sur dix ans, la suppression d’un million d’emplois publics et la disparition progressive de la fonction publique territoriale. Toujours en 2016, Emmanuel Macron se lançait dans la course présidentielle. Mais avec des accents nettement plus interventionnistes. Dans son livre Révolution, il pointe la désindustrialisation comme «une des causes de notre malheur» et propose de renouer avec «le rêve productif» qui, «depuis Colbert», serait «au coeur de notre histoire et de notre identité». Dans le chapitre «Produire en France et sauver la planète», le futur président prônait une politique d’investissement planifiée, notamment dans la santé et la transition énergétique.
La crise aura fait de Le Maire l’ardent promoteur de cette politique. Multipliant les déclarations volontaristes sur le sauvetage de l’industrie nationale et sur la relocalisation de certaines activités, il ne manque jamais de proclamer que la croissance devra désormais être «durable». «Le voilà presque plus vert que Hulot», s’amuse un ministre, notant au passage qu’il a, ce faisant, «complètement effacé» la peu politique ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne. Le Maire assure que la bataille dans laquelle il est engagé n’a nécessité aucun «changement de philosophie»: «J’ai toujours dit qu’il fallait améliorer la compétitivité pour garantir la prospérité. Et j’ai toujours défendu la politique de l’offre pour éviter le déclassement.» Il reconnaît aussi que la question du niveau de la dette a cessé d’être un frein à la restauration du «rêve productif».