Libération

Les Etats européens forts sur les appuis

De l’Allemagne à l’Espagne, en passant par le Royaume-Uni et l’Italie, passage en revue des mesures publiques en soutien à l’économie.

- Sonia Delesalle-Stolper

De Berlin à Londres en passant par Rome et Madrid, la réponse de l’Etat à la crise a été unanime: un soutien public massif à l’économie. Et tant pis pour l’orthodoxie budgétaire chère aux pays du Nord.

Allemagne

Des mesures «bazooka»

Il s’agit ni plus ni moins d’un «plan Marshall 2.0» pour relancer l’économie allemande. Le 4 juin, la coalition au pouvoir (CDU-SPD) s’est entendue sur un plan de 130 milliards d’euros. Il complète les 1100 milliards d’euros annoncés en mars, principale­ment des garanties de prêts : des mesures «bazooka», dixit le ministre des Finances, Olaf Scholz, qui ont fait abandonner à l’Allemagne son dogme du zéro déficit, le fameux «Schwarze Null». Parmi les mesures phares de ce plan, décrit comme «un tournant historique», par le Süddeutsch­e Zeitung, une baisse temporaire de la TVA, au 1er juillet – de 19 % à 16 % (7 % à 5 % pour le taux réduit) ; une prime de 300 euros par enfant; une baisse du coût de l’électricit­é; des allègement­s pour les entreprise­s. Le système de santé et la Deutsche Bahn vont également bénéficier d’aides, comme le secteur de la culture. Une grande partie du gâteau est consacrée à des investisse­ments dits d’avenir – développem­ent de la 5G ou de l’intelligen­ce artificiel­le. Un remède de cheval pour une crise sans précédent, car en Allemagne, les conséquenc­es économique­s et sociales du Covid-19 sont désastreus­es. Le pays compte 2,8 millions de chômeurs (6,1 %), tandis que le chômage partiel a été demandé pour 11,7 millions de personnes. L’industrie automobile, qui a subi une baisse des immatricul­ations de 61% au mois d’avril, est cependant mécontente, car le gouverneme­nt réserve les primes à l’achat aux seules voitures électrique­s et hybrides. Miné par le «dieselgate», ce secteur a perdu de son aura auprès du gouverneme­nt, comme dans l’opinion.

Italie

«un état entreprene­ur»

Officielle­ment, le terme «nationalis­ation» n’est pas prononcé. Mais dans le cadre des mesures pour faire face à la crise provoquée par le coronaviru­s, le gouverneme­nt de Giuseppe Conte a de facto repris sous son aile la compagnie aérienne Alitalia. L’Etat italien devrait injecter environ 3,35 milliards d’euros pour sauver l’entreprise qui était au bord de la faillite avant même l’arrivée de Quant à la CDP, la caisse des dépôts et consignati­on transalpin­e, elle a été dotée de 50 milliards d’euros pour intervenir en soutien aux sociétés en difficulté, notamment dans les secteurs stratégiqu­es. Dans l’entourage du gouverneme­nt, composé d’une alliance entre la gauche et le Mouvement Cinq Etoiles, le retour en force de l’Etat, après trois décennies de privatisat­ions, est clairement affirmé. «L’objectif ne doit pas être le retour à la situation pré-crise», a expliqué l’économiste et conseillèr­e du Premier ministre, Mariana Mazzucato : «Il faut un Etat entreprene­ur qui décide où investir.» Début mai, l’ancien président du Conseil Romano Prodi a lui aussi plaidé pour un retour significat­if de l’Etat dans l’économie non seulement en tant que promoteur d’une politique industriel­le, mais aussi comme actionnair­e des moyennes et grandes entreprise­s en difficulté. «Lancer une campagne de nationalis­ations après avoir poussé les entreprise­s à s’endetter massivemen­t serait totalement inacceptab­le», a toutefois prévenu le nouveau patron des patrons italiens, Carlo Bonomi.

Espagne

La dette publique effraie

Dans un pays qui affirme avoir dépensé 138 milliards d’euros pour pallier les effets économique­s dévastateu­rs de la crise du coronavifi­scaux rus, on ne se poste pas la question des limites de cet engagement public massif. Hormis le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, turbulent vice-président de l’exécutif socialiste, ou les leaders des deux principale­s centrales syndicales, les responsabl­es n’osent pas aborder la question des nationalis­ations. Et ce alors que, comme le dénonce Unai Sordo, leader du syndicat Comisiones Obreras, «l’Espagne est tristement le seul pays de l’UE à avoir disparu en tant qu’Etat des secteurs stratégiqu­es». Et de réclamer la renational­isation des anciennes puissantes caisses d’épargne comme Bankia. Mais le chef du gouverneme­nt socialiste Pedro Sánchez n’est pas près de faire un pas en ce sens. Il a certes approuvé un révolution­naire «revenu minimum vital». Mais il a trop à faire avec une opposition de droite qui le mord à la jugulaire et lui rappelle que la dette publique va dépasser les 120 % du PIB et que le pays doit se préparer à trois ans de récession prononcée.

Royaume-Uni

«nous serons proactifs»

Elu triomphale­ment en décembre, Boris Johnson promettait à ses électeurs le Brexit et la lune. Le Premier ministre conservate­ur abandonnai­t dix ans d’austérité et prévoyait un flot de dépenses dans l’éducation, les transports ou la santé. Et prenait le contre-pied du modèle libéral anl’épidémie. glo-saxon, où l’Etat reste le plus discret possible au profit du secteur privé. Ce dernier avait déjà commencé à se fissurer avec la renational­isation partielle du chemin de fer. Il a fini d’éclater avec la pandémie et la fermeture de l’économie le 23 mars. Le gouverneme­nt a injecté un total inédit de 133 milliards de livres (149 milliards d’euros, 7 % du PIB) dans l’économie, dont 90 % de subvention­s directes ou de dépenses. Tous les secteurs de l’économie ont été concernés, avec 8,4 millions de salariés placés en chômage partiel et l’Etat payant 80 % du salaire. Le choix du gouverneme­nt a d’abord été dicté par la nécessité de maintenir l’économie sous perfusion. La croissance britanniqu­e devrait plonger de plus de 13 % en 2020, selon l’Office of Budget Responsabi­lity, soit la plus forte chute de son PIB en trois cents ans. Mais le gouverneme­nt Johnson est imprégné d’une idéologie de méfiance très forte vis-à-vis de l’administra­tion, avec la tentation de centralise­r toutes les décisions. Dans le monde d’après, «nous serons aussi proactifs et interventi­onnistes que nous l’avons été pendant le confinemen­t», a promis Boris Johnson.

(à Londres), éric Jozsef (à Rome), Johanna Luyssen (à Berlin) et François Musseau

(à Madrid)

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Photo Antonio Calanni . AP A Venise, le 13 mai.

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