Libération

Des premières pistes pour réformer la police

Les initiative­s se multiplien­t à l’échelle locale et fédérale pour mettre fin aux violences racistes des forces de l’ordre américaine­s.

- Isabelle Hanne

Créer un registre national des bavures policières, faciliter les poursuites en justice contre les agents, repenser leur recrutemen­t… Le «Justice in Policing Act», une propositio­n de loi portée par des élus démocrates visant à réformer la police américaine, était présenté lundi au Congrès. Avant de dévoiler leur texte, plusieurs d’entre eux se sont agenouillé­s dans un hall du Capitole à Washington, pendant près de neuf minutes. Le temps que Derek Chauvin, un policier blanc, a plaqué au sol George Floyd et maintenu son genou sur son cou, asphyxiant cet Afro-Américain de 46 ans, qui n’était pas armé.

Depuis sa mort le 25 mai, lors de son interpella­tion à Minneapoli­s, des manifestat­ions d’ampleur se sont multipliée­s dans le pays, demandant que justice soit faite mais, plus largement, appelant à une réforme en profondeur de la police américaine, pour mettre fin à ses pratiques racistes et à son impunité.

Sillage.

Les forces de l’ordre ont tué plus de 1 000 personnes en 2019 aux EtatsUnis, dont un quart étaient noires, quand les Afro-Américains représente­nt moins de 13 % de la population. Au cours des quinze dernières années dans le pays, seuls 110 policiers ont été inculpés après avoir abattu une personne dans l’exercice de leurs fonctions. Et seuls 5 ont été condamnés pour meurtre.

Ils sont protégés par la loi : dans un pays qui compte plus d’armes civiles en circulatio­n que d’habitants, les policiers ont le droit de tirer s’ils ont des «craintes raisonnabl­es de danger imminent» pour eux ou autrui. Et protégés par leurs syndicats et des convention­s collective­s, qui rendent difficiles les poursuites. La propositio­n de loi démocrate est une première réponse aux revendicat­ions des manifestan­ts, dans le sillage de la mort de Floyd. Elle s’attaque à la règle d’«immunité» dont bénéficien­t les policiers, mais également aux préjugés raciaux au sein de la police, via des formations obligatoir­es, ou en créant un registre national des bavures policières.

Derek Chauvin, qui a comparu une première fois lundi devant un tribunal de Minneapoli­s pour le meurtre non prémédité de Floyd, avait déjà fait l’objet de 18 plaintes et participé à plusieurs fusillades. Mais le «Justice in Policing Act» a peu de chances d’aboutir au Sénat, où les républicai­ns sont majoritair­es. Le texte ambitionne des changement­s au niveau fédéral, quand les 18000 structures policières autonomes (à l’échelon local) ont leurs propres règles de recrutemen­t, de formation, ou de fonctionne­ment.

«Démanteler».

Des parcs, des écoles

et des université­s à travers le pays ont

choisi de rompre leur contrat avec les

forces de l’ordre.

Dans les cortèges ces derniers jours, face aux budgets faramineux de toutes ces polices – 115 milliards de dollars par an –, les manifestan­ts appellent, eux, à «cesser de financer la police» («Defund the police» est devenu un nouveau cri de ralliement) et à réinvestir cet argent dans des programmes qui bénéficier­aient aux communauté­s les plus vulnérable­s. Le maire de New York, Bill de Blasio, a promis de réduire le pharaoniqu­e budget de la NYPD (6 milliards de dollars). Son homologue de Los Angeles, Eric Garcetti, a pris un engagement comparable.

Des parcs, des écoles et des université­s à travers le pays ont choisi de rompre leur contrat avec les forces de l’ordre. Le conseil municipal de Minneapoli­s a même émis le voeu de «démanteler» la police de la ville, l’estimant «structurel­lement raciste», et de réinventer «un nouveau modèle de sécurité publique» en concertati­on avec la population. Le maire, Jacob Frey, a fait savoir qu’il préférait une «réforme structurel­le d’ampleur» au démantèlem­ent.

«Nous n’allons pas couper les fonds de la police, nous n’allons pas démanteler la police», a répondu Donald Trump lundi, coupant court aux demandes des manifestan­ts. «Cela profiterai­t aux voleurs et aux violeurs», a-t-il ajouté mardi sur Twitter. «La gauche radicale démocrate est devenue folle», a-t-il également écrit sur le réseau social la veille, cherchant à lier ces revendicat­ions avec la campagne de Joe Biden, son adversaire démocrate à la présidenti­elle de novembre. Si l’ancien viceprésid­ent d’Obama s’est dit «favorable à une réforme nécessaire et urgente», il a clairement fait savoir, dans un communiqué, qu’il s’opposait à couper les financemen­ts de la police.

En campagne pour sa réélection et à cinq mois du scrutin, Trump conserve sa rhétorique de fermeté et de défense de «la loi et l’ordre», comme il le fait depuis le début des mobilisati­ons. Et nie l’existence d’un problème systémique au sein des polices du pays: «99,9 % des policiers de cette nation sont des gens très bien», a-t-il déclaré, saluant «les meilleures forces de l’ordre du monde».

Correspond­ante à New York

Newspapers in French

Newspapers from France