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EDOUARD PHILIPPE Populaire, mais pour quoi faire ?

Alors que son poste pourrait être un enjeu du futur remaniemen­t, le Premier ministre, favori de la municipale du Havre, est aussi l’un des principaux atouts de l’exécutif auprès de l’opinion. Dans le sondage Viavoice pour «Libération», il gagne 12 points

- Par Dominique Albertini Photo Corentin FOHLEN

Cincinnatu­s ne lisait pas les sondages. Modèle de sobriété et de vertu civique, l’illustre général sauva Rome, ne lui réclama rien et retourna à sa charrue. Edouard Philippe a récemment invoqué ce grand personnage. C’était au Havre, où, candidat à l’élection municipale, il abordera fin juin le second tour en favori. S’il était élu, et qu’Emmanuel Macron en décidait ainsi, le Premier ministre s’était dit prêt à imiter le vieux Latin, en revenant «s’occuper de ce qui lui plaît, […] de sa ville et de ceux qui lui font confiance». Quoi que puissent lui inspirer les bons sondages qui, à l’approche d’un probable remaniemen­t, en font l’un des principaux atouts de l’exécutif auprès de l’opinion publique.

Réalisée par Viavoice pour Libération, une nouvelle enquête confirme la bonne dynamique du chef du gouverneme­nt. Avec 45 % de bonnes opinions, contre 43 % de mauvaises, sa popularité augmente de 12 points par rapport au mois de mars, au début du confinemen­t national. Edouard Philippe, dont la cote de sympathie dépasse aussi de 12 points celle du chef de l’Etat, retrouve ainsi des niveaux jamais atteints depuis le début du quinquenna­t. Il progresse dans presque toutes les catégories de l’opinion, y compris à gauche, même si deux en particulie­r soutiennen­t cette relative popularité: les électeurs d’Emmanuel Macron (77 % de bonnes opinions) et ceux de François Fillon (66 %). Trois ans après son arrivée à Matignon, le Havrais reste un efficace outil de fracturati­on de la droite.

«Aucun rapport de force

Avec le Président»

Ces résultats «renvoient d’abord à sa gestion du déconfinem­ent», estime le président de Viavoice, François Miquet-Marty : «Il s’y est impliqué à coups de mesures très concrètes, applicable­s à tous, inscrites dans la vie quotidienn­e des gens. S’y ajoute un style personnel sobre, pragmatiqu­e, pédagogiqu­e, qui peut évoquer une manière allemande de faire de la politique. Et, à vrai dire, être opposé à l’emphase macronienn­e.» Rien, c’est vrai, ne garantit la durabilité de la tendance, et c’est «davantage le style que les idées associées au Premier ministre qui séduisent», poursuit Miquet-Marty. «Mais l’ampleur de cette hausse, auprès de publics si différents, l’inscrit dans une dynamique de rassemblem­ent supérieure à celle du Président.» Jusqu’à nouvel ordre, elle fait en tout cas de Philippe l’une des rares

expression­s de ce «dépassemen­t» dont le macronisme peine tant, ces jours-ci, à donner des gages.

Ce tableau n’empêche pas la question d’un large remaniemen­t de se poser à nouveau au chef de l’Etat. Et l’occupant de Matignon d’en être l’un des enjeux. Ce n’est pas la première fois que circule l’hypothèse, jusqu’ici toujours infirmée, d’un changement de Premier ministre. Mais à quelques semaines d’annonces présidenti­elles sur l’après-pandémie, l’idée occupe assez les esprits pour que le président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, se soit senti tenu de soumettre à l’Elysée une liste de possibles remplaçant­s (lire ci-dessus). Révélée vendredi par l’hebdomadai­re Marianne, l’initiative a consterné une bonne partie du camp présidenti­el. Selon l’un de ses collaborat­eurs, le Premier ministre l’a accueillie par une trituratio­n songeuse de ses lunettes et un silence que ce témoin n’a pas souhaité qualifier.

Qu’en sera-t-il de celui que, dans les ministères, les uns décrivent comme «impression­nant d’endurance» et «planchant sur l’aprèscrise», les autres comme moulu par l’effort, horripilé par les maladresse­s d’une partie de ses ministres, frustré par certains choix présidenti­els ? Le fin mot de l’histoire, objet de tous les bavardages et surtout des moins informés, n’est connu que des intéressés et d’un tout petit nombre de leurs proches. Si l’envie de Philippe de prolonger son bail n’est pas douteuse, l’homme se refuse à «faire campagne pour rester», affirme l’un de ses amis : «Il ne doit y avoir aucun rapport de force avec le Président, nous sommes dans un moment de loyauté. Edouard Philippe restera si le Président pense qu’il est encore l’homme du moment.»

Cela dépendra, répètent tous les acteurs, de la nouvelle feuille de route que doit dévoiler d’ici la mi-juillet le chef de l’Etat. Un programme que le Premier ministre, «comme chaque ministre»,

est appelé d’ici là à nourrir «de ses idées, de sa vision». Selon de récents propos officieux du Président, celui-ci se refuserait à revenir sur la politique de l’offre et de compétitiv­ité observée depuis 2017. «On va évidemment changer des choses, mais le sujet, ce n’est pas de donner un coup de barre à droite ou à gauche», assure une source ministérie­lle. Pas de quoi garantir un maintien d’Edouard Philippe. Mais assez pour ôter tout caractère d’évidence à son remplaceme­nt.

«C’est vrai, et c’est volontaire»

Ces interrogat­ions intervienn­ent sur fond de crise du groupe LREM à l’Assemblée, un sujet censé intéresser directemen­t le chef de la majorité. Dans sa note, Gilles Le Gendre juge pourtant – et ce n’est, semble-t-il, pas un compliment – que le Premier ministre se «garde bien d’intervenir dans les affaires» de celle-ci. Edouard Philippe lui-même avait récemment semblé le confirmer : «Il n’y a aucune volonté de Matignon de s’immiscer dans la vie de la majorité : quand on le fait, on est mort tout de suite.» Il est vrai qu’il voulait alors se défendre d’avoir suscité la création du nouveau groupe de centre droit Agir, vu par certains comme un outil à son service. «Ce que dit Le Gendre est vrai, et c’est volontaire, assume un ami du Premier ministre. Edouard estime que l’exécutif n’a pas à se mêler des affaires de la majorité, parce que ce n’est pas son rôle et qu’il le fait mal. Il doit être dans l’animation, passer du temps avec les députés, mais pas être dans l’organisati­on.»

Le chef du gouverneme­nt ferait même auprès des parlementa­ires «tout un travail qui ne devrait pas être le sien, parce que la direction du groupe est défaillant­e», ajoute une source ministérie­lle. C’est une autre des raisons qui, selon cet interlocut­eur, rendraient le Premier ministre «inamovible à court terme». Et si la charrue attendait encore un peu ? •

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Edouard Philippe, mardi à Evry (Essonne).
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