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Fragilisé, Gilles Le Gendre tente la thérapie de groupe à l’Assemblée

Les députés LREM ont exprimé leurs griefs mardi en visioconfé­rence après la polémique autour de leur chef de file.

- Laure Equy

Le groupe LREM continue en aquaplanin­g. Son président a certes sauvé sa tête, mardi, après la fuite dans Marianne d’une note à l’Elysée sur ses pistes pour un remaniemen­t. Mais de l’avis de nombreux députés LREM, leur chef de file s’est juste offert un sursis, le contexte ne se prêtant pas à une élection interne. Et au-delà du petit psychodram­e qui a agité les troupes depuis cinq jours, le malaise, plus profond, n’est pas dissipé.

«Je ne suis coupable de rien mais je me sens redevable pour réparer le lien de confiance qui a été abîmé», s’est défendu Gilles Le Gendre face à son groupe réuni en visioconfé­rence, minimisant ce qu’il a assuré n’être qu’un message Telegram et récusant avoir suggéré à Emmanuel Macron un «casting détaillé». Venus à sa rescousse, le délégué général de LREM,

Stanislas Guerini, et le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, ont appelé à l’unité et au retour de la «bienveilla­nce» vraisembla­blement disparue, ce dernier mettant en garde contre des «divisions létales». De fait, les marcheurs, même les plus remontés, n’ont pas réclamé le départ immédiat du président de groupe. «On a calmé le jeu jusqu’à la fin du mois car on ne sait pas faire autrement», soupire l’un d’eux. Mais lors de cette réunion, qui a oscillé entre thérapie de groupe et séance de tir, les députés ne se sont pas privés de vider leur sac, comme Jean-Baptiste Moreau, qui dézingue une note «du niveau du café du commerce». Beaucoup se sont notamment inquiétés de la relation entre le groupe majoritair­e et Edouard Philippe, auquel Le Gendre a réaffirmé sa confiance… après avoir conseillé, dans sa note, de le remplacer à Matignon.

Mais des griefs de fond, anciens, ont aussi ressurgi, sur le fonctionne­ment du groupe, sa difficulté à peser sur la ligne gouverneme­ntale et à imprimer dans l’opinion. «Gilles n’est pas responsabl­e de tous nos maux mais il est un symptôme de nos dysfonctio­nnements», analyse une députée LREM. «Le consensus mou tue. Le dissensus, débattu dans le respect, fait avancer. Si nous continuons dans le déni, nous allons tout droit vers la création d’énièmes groupes», a prévenu François Cormier-Bouligeon, en allusion aux deux groupes qui ont vu le jour en mai, drainant des marcheurs déçus. «Ce n’est pas pour cela que nous devrions nous mettre la tête sous la cendre et dire que nous avons péché», relativisa­it alors Gilles Le Gendre. A l’approche d’un discours présidenti­el – prévu après les municipale­s pour tracer la perspectiv­e de la fin du quinquenna­t –, la majorité, mal en point, pressent la nécessité de retrouver du muscle. «Dans ce nouveau cycle, il faut que nous soyons forts», a exhorté Mounir Mahjoubi tandis qu’Anne-Christine Lang, proche de Cédric Villani, appelle la majorité à se «mettre en ordre de marche pour cet acte III décisif» et à «renouveler les équipes».

Car les responsabl­es du parti, que le scrutin du 28 juin devrait fortement secouer, ne sont pas épargnés. «Le groupe est le réceptacle des emmerdes mais ce n’est pas à lui de mettre en débat les orientatio­ns, distingue un député. Macron peut aller en 2022 avec un groupe bordélique mais pas avec un parti faible.» Alors qu’à l’Assemblée, les marcheurs doivent désormais compter sur le Modem ou Agir, la question d’un rassemblem­ent partisan plus large que LREM, dans l’air depuis plusieurs mois, se pose d’autant plus. Certains préconisen­t une forme de confédérat­ion, à la façon de «Renaissanc­e», la liste qui avait réuni LREM, Modem et Agir aux européenne­s de 2019. «En 2017, on a fait le casse du siècle mais on n’a pas su gérer le magot, résume un autre député. Il est temps d’inventer une nouvelle structure partisane, de faire un “reset” sur LREM.»

«Le groupe est le réceptacle des emmerdes mais n’a pas à débattre des orientatio­ns.» Un député de la majorité

Rien qu’au son de sa voix, Edwige Trolliet a tout de la «gentille organisatr­ice»: dynamisme et bonne humeur. A 29 ans, elle est animatrice en club de vacances. L’hiver à la montagne et l’été à l’étranger, elle monte des spectacles, imagine des concours et programme des balades. «Par rapport aux GO, on est moins kitsch, rectifie la saisonnièr­e. J’ai une vocation sociale : je travaille avec des personnes qui partent en voyage grâce aux chèques vacances, avec les comités d’entreprise. On a un contact humain incroyable.» Voilà dix ans qu’elle «fait les saisons» pour le même tourMais pour la première fois, à cause de la crise sanitaire, son contrat n’a pas été reconduit. «J’aurais dû commencer mon CDD autour du 15 avril en Grèce. C’était

convenu comme ça, racontet-elle. Avec mon équipe de cinq personnes, on a appris que la frontière et l’hôtel étaient fermés. On s’est retrouvés sans nouvelles. Le club de vacances attend que la situation se débloque.»

Edwige Trolliet et les saisonnier­s n’entrent pas dans le plan d’aide de 18 milliards d’euros du gouverneme­nt en soutien au secteur du tourisme : sans promesse d’embauche signée, pas de chômage partiel.

Alors depuis avril, elle grignote ses droits au chômage. Edwige a écrit une lettre à l’attention des ministres et parlementa­ires pour défendre les saisonnier­s. Elle demande «de ne pas décompter les jours d’indemnisat­ion», «de revoir la réforme du chômage» et «un droit pour les formations».

Comme elle, en France, deux millions de saisonnier­s sont en attente d’un contrat estival qui aurait dû être signé, et qui ne le sera peut-être jamais. Ces animateurs, barmen, chorégraph­es, pizzaiolos, chefs de rang, agents de maintenanc­e ou d’entretien font tourner l’économie du tourisme. Ils sont les petites mains qui permetopér­ateur.

Méditerran­ée

Mer

tent à la France de dégager 8% de son PIB. «On a envie de dire : “Coucou, on est là !” On tient à nos métiers, on a fait des formations. On ne veut pas changer de voie mais on est sur la sellette, s’inquiète-t-elle encore. On n’a pas de CDI, on ne pourra pas avoir de crédit, on vit sur notre lieu de travail et on n’a pas de maison. On a opté pour une autre vie et il faut respecter ce choix. Il y a un réel statut derrière.» Derrière : des salariés en CDD perpétuel. En plus de la lettre, Edwige et deux consoeurs mènent une campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag #JeSuisSais­onnier.

«Derrière le terme “saisonnier”, il n’y a pas que des jobs d’été, tient à préciser Elodie David, 31 ans et corédactri­ce de la lettre. Dans ma base, la moyenne d’âge n’est pas de 20 ans : on a tous entre 30 et 50 ans.»

mique de la France». Une demande en partie entendue par la préfecture des Alpes-Maritimes : «Nous venons d’autoriser toutes les entreprise­s qui avaient des saisonnier­s avec des promesses d’embauche à être indemnisés par le chômage partiel», annonce François Delemotte, responsabl­e de la Direction régionale des entreprise­s, de la concurrenc­e, de la consommati­on, du travail et de l’emploi (Direccte) des Alpes-Maritimes.

Jusqu’à l’année dernière, Marineland était le plus gros employeur de jobs d’été des AlpesMarit­imes. «Pour l’instant, on a embauché zéro saisonnier. On a signé aucun contrat, aucune promesse d’embauche, expliquait cependant Pascal Picot fin mai, directeur général du parc animalier. A cette époque, on aurait dû en avoir 150 d’actifs.» Et jusqu’à 500 au coeur de l’été. Des personnes qui n’ont donc pas accès au dispositif de la préfecture. Pour faire face à l’afflux de touristes et de congressis­tes, les saisonnier­s ne suffisent pas. Les grands groupes font appel à des extras, ces profession­nels qui signent un CDD d’usage à la journée, qui diffère de celui des saisonnier­s.

«On est les invisibles»

Semya Chellali, Marc Crespo et Anita Choukroun sont chefs de rang. Ils arrivent au rendez-vous fixé avec Libération en tenue de travail : costume noir, cravate nouée et noeud papillon dans la poche. Ils travaillen­t chaque année pour les plus grands rendez-vous de la Côte d’Azur : le G20, le Festival de Cannes, le festival de jazz, les matchs de foot, la Fashion Week de Monaco, les réceptions au Carlton, au Marriott, au Barrière ou sur les plages privées. «On est la variable d’ajustement, expose Anita. Mais on est les invisibles: on est déconsidér­és, juste des porte-assiettes.» Son collègue Marc Crespo est arrivé en fin de droits Pôle Emploi le 31 mai. Il a déclaré 30 000 euros l’année dernière, 7 500 cette année : difficile d’assumer ses charges. «Pour continuer à vivre», l’un de ses collègues a contracté un prêt à la consommati­on. «On a les boules. Personne ne pense à nous, regrette-t-il. On est les premiers à servir aux voeux des maires jusqu’à l’Elysée. Et ils disent qu’ils ne nous connaissen­t pas. C’est dramatique.»

Marc et Semya ont manifesté devant la mairie de Cannes le 26 mai et obtenu un rendez-vous en sous-préfecture. La sous-préfète de Grasse, Anne Frackowiak-Jacobs : «C’est une population qu’on n’avait pas dans le radar car elle n’est pas représenté­e, est sans instance associativ­e et syndicale. Leurs contrats sont extrêmemen­t précaires, ce qui ne les empêche pas de travailler énormément. Evidemment, ils sont dans une situation assez problémati­que. Pour eux, il n’y a pas de solution. On va gérer l’urgence individuel­le mais il va falloir trouver une solution nationale. On a fait remonter la situation au préfet et à la ministre du Travail.»

Le 3 juin, les trois extras ont organisé une autre manifestat­ion à Nice, portant un cercueil, signe de la mort d’une profession. Eux aussi demandent le gel de leurs droits au chômage et le même statut que les intermitte­nts du spectacle. «Nous avons les mêmes horaires et lieux de travail. Nous bossons ensemble donc nous devrions avoir les mêmes droits, estime Semya. Les extras sont des hôtesses, des VTC, des agents de sécurité. Sans eux, les événements ne pourraient pas avoir lieu.» Anita est la plus inquiète des trois : «J’ai eu ma responsabl­e au téléphone. Elle m’a dit que ça ne reprendra pas avant octobre, donc je n’aurai rien avant. Je ne peux pas postuler dans des restaurant­s, ils ne prennent que des jeunes.» Anita a 60 ans. Elle comptait tenir encore deux ans dans sa «vie d’extra» avant la retraite. Un an de travail vient de s’envoler. •

(1) Le prénom a été changé.

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