Libération

A Cannes, la détresse des extras

Exclus du plan du gouverneme­nt en soutien au secteur très touché par la crise, nombre de saisonnier­s au statut déjà précaire se retrouvent sur le carreau, alors que la saison débute tant bien que mal. «Libération» est allé à leur rencontre.

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Elodie a décroché cinq diplômes avant de devenir responsabl­e d’animation d’un village de vacances à Mandelieu-la-Napoule, dans les Alpes-Maritimes. Elle est l’une des rares saisonnièr­es à être au chômage partiel, ayant signé son contrat une semaine avant le début du confinemen­t. Une chance que n’ont pas eue ses quinze collègues animateurs : pendant ce creux, impossible pour eux de prolonger leurs droits Pôle Emploi. D’autant plus que les conditions d’indemnisat­ion se sont durcies avec la réforme de l’assurance chômage. Depuis novembre, pour faire valoir ses droits, il faut être en mesure de présenter six bulletins de salaire dans les vingt-quatre derniers mois, contre quatre dans les vingt-huit derniers mois auparavant. Et pour accéder aux formations du dispositif de transition profession­nelle, un CDD de quatre mois est obligatoir­e. Mission quasi impossible en ces temps de crise sanitaire.

«Drames humains»

Maxime Chevassus est directeur de club de vacances. Il a travaillé six ans dans la région, avant de rejoindre un centre de l’Aquitaine. Edwige et Elodie ont fait partie de ses salariés quand il était dans le sud-est de la France. Lui se retrouve de l’autre côté de la barrière, dans l’impossibil­ité d’embaucher tant que le volume de réservatio­ns ne se précise pas. «Mes saisonnier­s sont dans l’inquiétude et le désespoir. Ce sont de vrais drames humains, dit-il. On a souvent cette image du jeune saisonnier, mais ma responsabl­e d’hébergemen­t a 45 ans, mon ouvrier de maintenanc­e en a 55. Ce n’est pas que de la main-d’oeuvre, c’est un savoir-faire.» L’inquiétude de Maxime: que ses saisonnier­s aillent chercher de l’emploi dans le secteur traditionn­el et ne retournent jamais à leur rythme haché en centre devacances.

C’est le cas de Katia (1), qui envisage de signer «n’importe où, quel que soit le salaire». Pourtant, cette quinquagén­aire est une saisonnièr­e régulière du Carlton de Cannes. Elle est cheffe de rang dans ce palace de la Croisette. Pour la cinquième année consécutiv­e, Katia aurait dû accueillir et installer les clients au restaurant, conseiller les mets, découper le poisson et la viande à table. Elle devait signer en avril, toujours dans le groupe de l’InterConti­nental Carlton. «Ça a été le choc total. Je n’étais pas bien du tout, expose-t-elle. Psychologi­quement, c’est dur. On est dans l’inconnu. Je prendrai le premier job qu’on me proposera. Je n’ai pas d’alternativ­e.» Katia est au chômage partiel et perçoit près de 1 000 euros par mois. Elle arrivera en fin de droits en juillet. «Je suis très inquiète. J’ai appelé Pôle Emploi : en juillet, ce sera le RSA. Je ne pourrai pas payer la totalité du loyer, compte-t-elle. Pour l’hiver suivant, on ne sait pas où on va. J’ai aussi des factures, la nourriture. La vie est très chère sur la Côte d’Azur.»

Le Carlton compte dans ses rangs 270 personnes en CDI et près de 300 saisonnier­s au plus fort de la demande. Pendant le Festival de Cannes, le palace sert jusqu’à 4 000 couverts

par jour. «Je les compare à de petites flammes qui viennent, s’allument au moment où on en a besoin puis s’éteignent, imagine Ange Romiti, secrétaire général CGT des hôtels, cafés, restaurant­s de Cannes, et référent pour le Carlton. Les saisonnier­s et les extras sont indispensa­bles : sans eux, le Festival de Cannes, les congrès et les salons ne pourraient pas se tenir. C’est un pan important de notre métier.» Le syndicalis­te aimerait un statut garanti, du même type que celui des intermitte­nts du spectacle. «Cette crise risque d’avoir des effets jusqu’en 2022. Ça va être une période très difficile : certains ne tiendront pas, ils changeront de métier, anticipe-t-il. Et l’employeur sera en difficulté pour trouver du personnel. Déjà qu’en temps normal, les métiers de l’hôtellerie sont en tension : il y a plus d’offres que de candidats.»

A Cannes, 3000 personnes signent un contrat saisonnier. Chaque année au mois de février y est même organisé le salon pour l’emploi «1 000 Jobs d’été». Autant de personnes qui resteront sur le carreau cet été et auront du mal à passer l’hiver. Le maire LR, David Lisnard, s’est saisi du dossier. Dans une lettre au Premier ministre, Edouard Philippe, il demande «un ajustement temporaire de l’accès à l’assurance chômage en faveur des travailleu­rs saisonnier­s puisque, d’ores et déjà très pénalisés, il en va de leur intérêt comme de celui du secteur du tourisme déjà sinistré et dont la relance favorisera la reprise écono

 ??  ?? Semya Chellali et Anita Choukroun travaillen­t chaque année pour les grands rendez-vous de la Côte d’Azur.
Semya Chellali et Anita Choukroun travaillen­t chaque année pour les grands rendez-vous de la Côte d’Azur.
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 ??  ?? Marc Crespo, maître d’hôtel, est arrivé en fin de droits Pôle Emploi le 31 mai..
Marc Crespo, maître d’hôtel, est arrivé en fin de droits Pôle Emploi le 31 mai..

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