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Burundi : mort de Nkurunziza, chef rebelle devenu despote

- Maria Malagardis

Il y a quinze jours, au lendemain de l’élection présidenti­elle au Burundi, la première à se dérouler sans lui en quinze ans, Pierre Nkurunziza remerciait Dieu de l’avoir gardé en bonne santé pendant toutes ses années au pouvoir. Dans la foulée, il osait même affirmer que Dieu était toujours intervenu en période de crise pour sauver le Burundi. Agé de 55 ans, l’ex-homme fort du pays est mort dans la nuit de lundi à mardi. Officielle­ment décédé après une attaque cardiaque, on le disait depuis plusieurs jours contaminé par le Covid-19. A l’entendre, cette pandémie épargnait le Burundi. Son épouse Denise, tout aussi croyante, est hospitalis­ée au Kenya, des suites du Covid-19, comme ont fini par le révéler les autorités kényanes.

La disparitio­n soudaine de cet ancien chef rebelle devenu dictateur plonge le pays dans l’inconnu. L’Etat africain est en crise depuis 2015 : arrivé au bout des deux mandats prévus par la Constituti­on, Nkurunziza était passé au forceps, s’imposant pour un troisième mandat au prix d’une répression sannies, glante des manifestat­ions. Régnant par la terreur, Nkurunziza faisait taire dans le sang toute voix dissonante : plus de 1 700 personnes sont mortes en cinq ans, provoquant l’exil de 400 000 Burundais, parmi lesquels l’élite intellectu­elle.

«Le pays est totalement essoufflé, les gens y vivent dans une misère incroyable. Il y a deux ans, la Tanzanie s’est fait le porte-parole des pressions internatio­nales pour dire [à Nkurunziza] de lâcher le pouvoir. Parmi ses proches, certains généraux, également fatigués de cette situation, ont appuyé cette démarche. C’est ce qui explique qu’il ne se soit pas représenté aux élections du 27 mai», explique David Gakunzi, un intellectu­el burundais, installé à Paris. Le dirigeant a pris soin de se faire proclamer «Guide suprême éternel» en janvier 2018, puis «Visionnair­e du patriotism­e», avant d’accepter de quitter la scène. Tout en espérant certaineme­nt continuer de jouer un rôle dans les coulisses. Lors des élections, son dauphin désigné Evariste Ndayishimi­ye n’a été élu qu’au prix de tricheries flagrantes.

Pierre Nkurunziza était-il condamné à ce destin de dictateur caricatura­l? Sa vie a épousé les tragédies de son pays, divisé comme le Rwanda voisin en deux ethamérica­ine une majorité hutue et une minorité tutsie. Laquelle, contrairem­ent au Rwanda, prend le pouvoir à l’indépendan­ce. Faisant partie de l’élite hutue, le jeune Nkurunziza restera toujours marqué par l’assassinat de son père, gouverneur de province, alors qu’il n’avait que 8 ans. En 1993 quand Melchior Ndadaye, le premier président hutu élu démocratiq­uement, est assassiné, il prend le maquis. Une guerre sanglante s’ensuit qui fera 300 000 morts. Lorsque les accords de paix sont signés à partir de l’an 2000, Nkurunziza est déjà le leader de sa propre rébellion mais on le surnomme alors «Umuhuza», «le rassembleu­r». En 2005, il est élu pour un premier mandat. La suite ne sera qu’une série de dérives, malgré quelques réformes progressis­tes notamment sur la gratuité de la scolarisat­ion. «Désormais plus personne, Hutu comme Tutsi, ne le soutenait. Reste à savoir, s’interroge David Gakunzi, si son successeur saura inaugurer un vrai changement pour le Burundi.»

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Photo AFP Pierre Nkurunziza, en mai.

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